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Les raisons du changement

Au milieu du XVII siécle, le clairet" est encore fabrigué. En 1643, Henry de
Monneins vend douze tonneaux de clairet dans sa baronnie du Breuil, en Médoc".
Léo Drouyn” a aussi retrouvé un « mémoire des vins clairets recueillis dans les
biens de M. le président Lecomte » rédigé en 1652 et mentionnant 253 barriques,
tandis que la méme année, le commissaire aux requétes Pierre Duval*!, proprié¬
taire à Bouliac, cède 17 tonneaux et deux barriques de vin, à 51 livres le tonneau,
mais l’ensemble ne comprend déjà plus qu'un seul tonneau de clairet. Messieurs
produisent donc déjà soit du vin rouge, soit du vin blanc, fait confirmé par les in¬
ventaires après décès. Sur les seize mentions de récolte dont nous disposons”? seul
Bernard de Pichon”, en 1684, possède encore en réserve trois tonneaux de clairet,
de sa maison noble de Carriet. Les autres domaines produisent vin rouge ou blanc,
une même propriété pouvant d’ailleurs donner les deux, mais la primauté de l’un est
affirmée et l’autre sert pour la consommation de la maison. Par ailleurs, une hié¬
rarchie s'opère déjà entre les qualités de vin. En 1684, l’état des productions de la
maison noble de Pessac* mentionne, outre le vin commercialisable, dix barriques
et deux tierçons de vin dit « commun », neuf tierçons de vin pour provision, dix
barriques et trois tierçons de vin treuilli, et enfin onze barriques et cinq tierçons de
breuvage. Si breuvage et vin treuilli# n’ont rien d'étonnant, il est en revanche plus
difficile d'interpréter ce que l’on appelle le vin « commun » qui pourrait peut-être
indiquer un début de hiérarchisation. Cependant, en confrontant l’ensemble de ces
données, on perçoit aisément que la chronologie mérite d’être précisée.

La progression qualitative est massive au début du XVIIT: siècle au point d’être
identifiée par un terme spécifique (New French Clarets”‘), mais certains domaines
sont pionniers. Haut-Brion se caractérise par sa précocité. Dès 1663, Samuel
Pepys, s’étant rendu a la Royal Oak Tavern le 10 avril, notait dans son journal
y avoir « bu un certain vin français appelé Ho Bryan ; il a un goût excellent et

8 Le vin clairet est, depuis le Moyen-âge, le plus apprécié des consommateurs. Il est le seul à être exporté
et commercialisé sur les marchés du Nord. On le dit « doux, fumeux, altérant », d’une couleur probable¬
ment proche de l’œil-de-perdrix. Bordeaux, vignoble millénaire, Bordeaux, L'horizon chimérique, 1996,
p. 47.

5 AD 33, 3E 15243, f" 450, 16 novembre 1643, contrat de vente.

20 Archives Bordeaux Métropole, fonds Léo Drouyn, t. 42, f° 17, 1652.

21 AD 33, 3E 12219, f" 87, 2 décembre 1652, contrat de vente.

2 Voir Caroline Le Mao, D'une régence à l'autre : le Parlement de Bordeaux et ses magistrats au temps de Louis
XIV (1643-1723), thèse dactyl., Université de Bordeaux 3, 2005, annexe « Les réserves viticoles des
magistrats du Parlement de Bordeaux (1677-1723) », p. 335-338.

3% AD 33, 3E 7641 £° 286, 13 avril 1684, inventaire après décès de Bernard de Pichon, président à mortier.

4 AD 33, 3E 3058, f° 693, 23 décembre 1684, inventaire de l’Avocat Général Thibaut de Lavie.

5 Vin treuilli : il s’agit d’un vin de presse, obtenu en pressant la râpe après écoulage. Il apparaît à la fin du
XVE et au début du XVI siècle, avec la généralisation des pressoirs. Ce vin est plus rouge que le clairet
et au XVI: siècle, il prend le relais du vin dit « vermeil ».

26 La notion a pu faire l’objet de débats ; voir Jean-Michel Chevet, 2014, « L'improbable « révolution » de la
qualité des vins de Bordeaux à la fin du XVIIème siècle », dans Sandrine Lavaud, Jean-Michel Chevet,
Jean-Claude Hinnewinkel (dir.), Vignes et vins. Les itinéraires de la qualité (Antiquité-X XIème siècle),
Bordeaux, Éditions Vigne et Vin, 2014, p. 119-142.

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