(c'est à dire aux re-présentations passées), et chaque nouvelle boucle formée à
partir d’une même rétention originelle repositionne une fois encore l'objet par
rapport à son environnement (et inversement), modifiant ainsi la connaissance
de l’objet en question. Ce dernier point est vertigineux : en effet, une connaissance
achevée (homogène et unifiée) de l’objet semble de facto impossible à cause de
ce mouvement de déplacement perpétuel de la perception vers la re-présentation,
de la rétention vers le ressouvenir, c’est pourquoi nous ne connaîtrons jamais
que des facettes de l'objet, la totalité de ce dernier nous étant inaccessible. Par
conséquent tout processus de modélisation de l’objet est nécessairement biaisé
en amont en ce que la temporalité de la donation originaire de l’objet est
irrémédiablement perdue dans le glissement de la rétention vers le ressouvenir,
qui marque l’avènement d’une temporalité plus abstraite et désincarnée, celle du
présent de répétition. De ce point de vue le projet d’une naturalisation de la
phénoménologie husserlienne doit être relativisé, en effet, ledit projet repose en
partie sur une méthodologie réductionniste selon laquelle les systèmes de
complexité supérieurs (par exemple les états de conscience et les niveaux
représentationnels), ne peuvent être compris qu’à partir des propriétés
fondamentales de systèmes physiques sous-jacents, (par exemple le système
nerveux).
Mais l’un des enseignements des Leçons pour une phénoménologie de la
conscience intime du temps est justement que le temps authentique est
irrémédiablement perdu pour la re-présentation, et ne peut donc être intégré
dans aucune forme d’objectivation. Une re-présentation complexe, comme l’est
par exemple celle du système nerveux, est le produit d’un nombre incalculable
de re-présentations sous-jacentes dont l’interdépendance et l'organisation reposent
en définitive sur un temps de répétition et de réajustement perpétuel qui n’est
plus tout à fait le temps des donations originelles. Les réseaux du niveau
représentationnel, de plus en plus complexes et interdépendants, se forment à
5° La dualité conceptuelle rétention / ressouvenir de la phénoménologie husserlienne trouve un
certain écho dans la philosophie bergsonienne au travers de l'opposition des concepts de mémoire
spontanée et mémoire de répétition: «Comment ne pas reconnaître que la différence est radicale
entre ce qui doit se constituer par la répétition et ce qui, par essence, ne peut se répéter ?» Par des
actes de répétition déterminés et finalisés, la mémoire re-présente (répete mécaniquement) des
séquences rétentionnelles données afin d’en retirer des informations de plus en plus distinctes. A
contrario, la «mémoire spontanée » ne se contente pas de répéter le passé «sous forme d’habitudes
motrices », mais elle « retient l’image des situations par lesquelles elle a passé tour a tour, et les aligne
dans l’ordre [irréductible] ou elles se sont succédé. » (Citations extraites de: Henri Bergson, Matière
et Mémoire. Paris, PUF, p. 89.). La notion de « mémoire spontanée» tient dans la philosophie de
Bergson une fonction similaire (mais pas totalement identique) à la fonction qu'occupe le concept
de rétention dans la phénoménologie de Husserl.