Au moment méme ot j’apercois, par exemple, un oiseau posé sur une branche,
je percois continiment de facon plus ou moins confuse l’arriére-plan à partir
duquel l’objet-événement-temporel « cet oiseau» se manifeste distinctement.
Cette assertion reste évidemment à expliquer plus en detail, nous nous contentons
pour le moment d'exposer notre interprétation du concept de milieu, ou
d’« arrière-plan » des objets-événements temporels. Cet arrière-plan, ou fond des
apparitions phénoménales est plus clairement identifié par Varela lorsque ce
dernier s'intéresse à la temporalité immanente du «temps absolu constituant le
flux de la conscience». Traitant de la remémoration, Varela précise comment
s’effectue l’acte veritable, ou « pur » de cette derniére:
« Je peux revivre trés clairement le dernier percept visuel dans la tache. Mais
cette évocation n’est compléte que quand elle charrie avec elle le contexte
incarné dans lequel l’image est survenue (ma posture, la voiture passant au
loin, les fragments concourants d’idéation que j'avais lors de la tâche). En
d’autres termes, bien que l'évocation vise un objet qui est donné à la présence
sur un mode spécifique [...], elle le vise en tant que champ: l’objet visé est un
centre, mais c’est aussi une périphérie pleine du contexte de l'expérience”. »
Le « contexte de l'expérience » est une autre façon de désigner l'arrière-plan
des objets-événements-temporels ; la notion d’ « expérience » renvoie tout d’abord
à l’interdépendance des flux rétentionnels dont procède en partie l'extension d’un
certain milieu, constitué d’une pluralité de vécus donnés sans discontinuité dans
l'intuition originaire et progressivement détachés les uns des autres par un
processus de re-présentation laissant apparaître des objets-événements distincts.
Cette dynamique inhérente à la perception des objets-événements est celle
la-méme du processus de |’ « objectivation immanente »* Ce point est essentiel,
il s’agit de montrer comment «tout ce qui, au sens le plus large, apparaît, est
représenté, pensé, etc.» participe d’un milieu dynamique et temporellement
irréductible à partir duquel la «position » de n’importe quel objet-événement
peut être relativisée. Par exemple, la « position » de l’objet-événement « cet oiseau »
varie constamment en fonction des changements de l'arrière-plan de cette
apparition : plus ou moins spécieusement d’autres rétentions deviennent de plus
en plus distinctes, de plus en plus re-présentées, de plus en plus objectivées, et
l'apparition de l'oiseau a déjà changé de « position s par rapport à ce réseau de
rétentions en perpétuelle mutation. Les termes de milieu et de position
29 Francisco Varela, « Le présent spécieux : une neurophénoménologie de la conscience du temps».
In Naturaliser la Phénoménologie, Essais sur la phénoménologie contemporaine et les sciences
cognitives, Paris, CNRS Éditions, 2002, p. 375.
30 V.$ 23 des Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps.