LA CONTEMPLATION, SES COMPOSANTES ET SES OBJETS SELON THOMAS D’AQUIN
La contemplation, vie selon l’intellect et la volonté
Comme on l’a rappelé au début, le questionnement de Thomas à propos de la
contemplation ne se limite pas à déterminer la nature de l’acte de l’äme selon
lequel on contemple, une vision, un regard («intuitus ») de l’intellect. Thomas
met en relation la contemplation avec la vie concrète des hommes, des vivants
(«viventium»), et il prend donc en compte la contemplation en tant qu’elle est
un acte choisi au préalable par la volonté, qui est dans l’âme la faculté du désir,
et qui meut toutes les puissances humaines, y compris, précise Thomas, l’intel¬
lect!®. Dans ce cas, écrit Thomas, la contemplation « devient une affaire de vie
(contemplatio accipit rationem uite)” » et elle manifeste la fin ultime que l’homme
choisit pour sa vie, qui pour Thomas est la contemplation de l'essence divine, ou
cause première, comme l'enseigne la Révélation chrétienne, mais aussi les phi¬
losophes anciens et en particulier Aristote:
«La béatitude ou félicité consiste en l'opération la plus parfaite de celui qui
est doté de raison et d’intellect. L'opération la plus parfaite de l’intellect consiste
dans la contemplation du suprême intelligible, qui est Dieu. Ainsi, tant pour
Dieu que pour l’ange et pour l’homme, la félicité et la béatitude ultime est la
contemplation de Dieu, non seulement de l'avis des saints mais aussi selon les
philosophes !*. »
Dans ce texte apparait la grande dignité que Thomas reconnait a la con¬
templation de l’homme, qu’il compare à celle de l’ange et à celle de Dieu. Cepen¬
dant, si cette contemplation parfaite ne peut s’accomplir qu'après la mort — le
cas du raptus de saint Paul étant une chose exceptionnelle —, de quelle manière
l’homme peut-il vivre, en cette vie, selon ce qu'il a de plus propre, l’intellect, et
de quelle manière peut-il connaître l’objet suprême que cet intellect est appelé à
contempler ?
16 «[Voluntas] movet omnes alias potentias, et etiam intellectum, ad suum actum » I-I/“, q. 180,
a. 1, resp. (éd. Leon. t. 10, p. 424).
77 « Ad primum igitur dicendum, quod finis contemplationis, in quantum contemplatio, est ueritas
tantum, set secundum quod contemplatio accipit rationem uite, sic induit rationem affectati et boni,
ut dictum est » Jn III Sent., d. 35, q. 1, a. 2, sol. 1, ad 1 (v. éd. M. F. Moos, p. 1178, n. 34; les italiques
sont de nous); v. A. Oliva, « La contemplation des philosophes ... », art. cit., p. 597-618.
18 In II Sent., d. 4, a. 1 (ed. P. Mandonnet, p. 133). Dans la définition des béatitudes évangéliques
Thomas reprend implicitement la définition d’Aristote: « [Beatitudines] sunt operationes virtutum
perfectarum ex adiunctione donorum, sive potius operationes ipsorum donorum. Et hoc consonat
dictis Sanctorum [...]. Consonat etiam ipsi Evangelio [...]. Consonare etiam videtur ad hoc Magister
[...]. Consonat etiam Philosophorum dictis, qui felicitatem dicunt etiam esse operationem secundum
perfectam virtutem » In III Sent., d. 34, q. 1, a. 4, resp. (éd. M. F. Moos, p. 1126, n. 105-109).