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s 2. SZ. MELLÉKLET * La Bible est une symphonie d’ouvertures : depuis le passage de la mer Rouge, jusqu’à cet epphata araméen par lequel Jésus dit à l’aveugle « Ouvre-toi », et jusqu'à Dé-couverte qui est, à la lettre, le titre de l’Apocalypse : les eaux s’entrouvrent, les rideaux tombent, les murs se lèvent, le ciel s’'enroule : tout ce qui séparait les hommes de la déité sera franchi — et, à la fin des fins, sera traversé le terrible gué de la mort. Le mot français trépas signifie magnifiquement que c’est un passage. C'est ce que l'acteur Ârpäd Kôti a ressenti, par une géniale intuition rythmique, lorsqu'il m'a proposé — lui qui jouait dans L’Opérette imaginaire le mort qui revient, traverse et retraverse, sempiternellement en noir — de surprendre lors de son avant-dernier passage par un saut de couleur et d'entrer tout en blanc, « comme Yves Montand dans son récital », m’a-t-il dit... J’ai ajouté que c'était aussi comme Staline, à la fin d’un film de propagande soviétique : Staline singeant le Transfiguré et apparaissant en uniforme immaculé, en Christ sur le mont Thabor, comme dans les icônes de Novgorod, d’Andreas Ritzos ou de Théophane le Grec. Je ne sais pas, Enikö, comment L’Opérette imaginaire et les neuf acteurs : Nelli Sztics, Anna Rackevei, Kinga Újhelyi, József Jámbor, Arpad Kéti, Attila Kristan, Tibor Mészaros, Jézsef Varga, Artur Vranyecz ont fini par s’entendre si profondément... Artur par quel miracle ?... Tout les séparait. Entre la langue hongroise et la langue française : incommunication radicale. Aucune syllabe de passage entre l’une et l’autre : deux étrangères absolues... Le miracle vient, en tout premier, du tres-patient et trés-profond travail de Zsöfia Rideg, traductrice qui a transporté les choses, les a passées avec amour de l’une à l’autre rive du langage (j'aime me représenter la traduction comme un transfert, un transport : le renversement d’un fleuve en l’autre ; avec abandons et retrouvailles, union qui sépare, et mue de soi-même — tout cela que le grec dit d’un seul mot : métaphore) ; Zséfia Rideg a accepté cette petite traversée de la mort, ce passage par la perte, cette noyade qu'il y a à traduire; elle a façonné par l'acte poétique de la traduction un corps tu, embusqué sous le texte des lettres, comme une autre langue enfouie, animalesque et dansée, une langue en vie, qui en sait plus sur l’homme . 233 ¢