ordre convenu ; mais jamais, en dehors des sociétés barbares, cette expression
n’a emporté l’idée d’une communauté quelconque de propriété. Cela serait on
contradiction directe avec l’idée même de la constitution primitive et de la
prolongation de la famille a travers les temps.
A l'origine du christianisme, l’Europe a passé d’un état de profonde
décadence à un état d’invasion pendant lequel tout était désordre et confusion.
Néanmoins, par le fait même que l’Église gardait et développait peu à peu au
fur et à mesure des besoins, le trésor de toutes les vérités sociales comme des
autres, l’idée primitive et divine de la famille, de sa constitution, de ses lois a
été retrouvée et a prévalu peu à peu. J'ai nommé tout à l'heure deux institutions
qui datent des temps chrétiens, parce que dans une esquisse aussi rapide, une
exposition méthodique et bien ordonnée est à peu près impossible ; mais les
majorats et les fidéicommis ne sont que des formes relativement nouvelles
d’une loi primitive. Pourtant le souvenir de ces institutions à l'inconvénient
d'évoquer une idée de classes qui pourrait amener un malentendu.
Le christianisme ne faisait pas acception de classes ; L'Église a toujours
répandu ses vérités partout et, si elle a une prédilection, c’est assurément
pour les petits, pour les faibles, pour les pauvres, aussi l’idée saine, complète,
normale de la famille avait-elle pénétré partout. La conservation des familles
nobles ou puissantes ayant un intérêt politique en même temps qu’un intérêt
social, les lois intervenaient avec plus de soin pour la garantir ; mais nul
nignore maintenant, surtout depuis les beaux travaux de M. Le Play, que les
familles stables se rencontraient à tous les échelons de la société et dans les
pays les plus divers, étaient toujours en raison directe de la stabilité, et que
la transmission intégrale des biens était la condition fondamentale de cette
stabilité. Or, pour les paysans, comme pour les nobles, cette transmission
supposait, au moins en fait l’inaliénabilité de la terre.
J'ai parlé des pauvres : pour eux, pas de biens à transmettre, mais ne
participaient-ils pas aussi aux fruits de la terre? Nous savons que les biens de
l'Église s’appelaient « le bien des pauvres » et que, malgré des abus inévitables,
ils étaient en réalité une espèce de patrimoine des classes déshéritées. Eux
aussi étaient inaliénables, non seulement en fait, mais en droit ; ils étaient par
excellence des biens de mainmorte, mais ils n’étaient pas seuls dans ce cas: les
villes, les communes petites ou grandes, les universités, les établissements de
bienfaisance, les corporations de toute sorte possédaient également des biens
dits de mainmorte. Or, ces biens étaient tous, à un titre ou l’autre, des biens
communs à tel ou tel corps régulièrement constitués. Leur ensemble formait,
à côté et en dehors des propriétés individuelles, une masse considérable de
biens qui n’appartenaient à personne en particulier, mais au produit desquels
un grand nombre de personnes participaient. On peut affirmer hardiment qu'il
n'y avait personne qui, ne fut-ce qu’à titre de charité, ne fut assuré d'en avoir
une part, petite ou grande, un jour ou l’autre. Sous différents noms et à des