CANADIAN LANDSCAPES/ PAYSAGES CANADIENS
séparations et de choix difficiles à opérer. La modernité de la ville par rapport
à la campagne, ainsi que le changement de valeurs qui en est le résultat, est
représentée tout le long du roman.
L'auteure n’a pas omis non plus d’y représenter la nourriture. Un lecteur
attentif pourrait être surpris par le nombre de fois que l'auteure fait référence
à la nourriture. À titre d'exemple, sundae, dessert traditionnel des Etats-Unis
préparé à la crème glacée et au lait et napée au coulis de fruits ou sauces au
chocolat, y est mentionné une dizaine de fois (Roy, Bonheur d'occasion 15, 23,
et passim). Ce n'est pas tout: on assiste même à sa préparation au début du
roman (15-16). Lorsqu'elle décrit les sorties de ses personnages, Gabrielle Roy
fait voir toutes les circonstances -— les rues qu'ils traversent, les endroits où ils
se dirigent —, mais aussi la nourriture, et cela même de manière très détaillée.
Elle est représentée aussi à travers le type de magasins où les personnages se
dirigent — il s’agit des restaurants rapides, des buffets à la gare, des restaurants
gastronomiques, des cafés, des restaurants-épiceries, des tabagies, dont les
noms sont cités par l’auteure — et les plats que les personnages consomment
— «le potage Julienne, les hors-d’ceuvre, une entrée de filet de sole, l’entrecôte,
la laitue, les pâtisseries françaises » (83) —, et tout cela dans l'objectif de faire
voir l'aspect sociologique et économique de la vie dans une grande ville de cette
époque, ainsi que la psychologie des personnages. Nous apprenons, par exemple,
le prix des hot-dogs et du coca-cola à l'époque ; que les jeunes ouvriers mangent
plutôt aux restaurants rapides qu’au domicile... En outre, le personnage prin¬
cipal, Valentine Lacasse, est serveuse au restaurant rapide Quinze-cents.
La citation suivante nous parait opportune pour illustrer le procédé de
Gabrielle Roy. Elle nous fait voir ambiance du restaurant Quinze-cents, ot
travaille Florentine:
Des qu’un client rassasié se levait, un autre prenait sa place ; le comptoir se meu¬
blait tout aussitöt devant lui, d’un verre d’eau fraiche et d’une serviette de papier ;
une blouse verte se penchait sur lui, puis s’éloignait dans un craquement de coton
empesé ; la serveuse lançait un ordre dans le téléphone de commande ; le monte¬
plats grinçait et une assiette bien pleine, fumante, apparaissait au bord d’une trappe
percée sous le reflet des glaces et qui communiquait, on aurait dit, avec une caverne
de vivres inépuisables.
Le tiroir-caisse sonnait presque sans interruption. Des consommateurs pres¬
saient des serveuses ou réclamaient leur attention en claquant des doigts ou en lais¬
sant filer entre leurs lèvres des « pssst » insolents (Roy, Bonheur d’occasion 101-102).
Ce restaurant est bruyant, ainsi que la ville ; le fait méme de manger n’est plus
intime, limité au foyer, au milieu familial. La consommation méme des repas
semble être réduite à son côté pratique. Évidemment, les habitants de cette
ville se nourrissent pour vivre et le font rapidement, puisqu'ils sont pressés. Il