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« CETTE CONNAISSANCE CHARNELLE» - LAFRIQUE INFINIE ET FEROCE DE J. M. G. LE CLEZIO

mais d’autre part, il est également vu comme le vestige des époques barbares, en
particulier par les colonisateurs blancs. Les deux textes de Le Clézio renvoient
exactement a cette double approche historique. En parlant d’Onitsha, on évoque
très souvent le roman fondateur du discours postcolonial, Au cœur des ténèbres
[Heart of Darkness] de Joseph Conrad. Cependant, ce lien n’est pas fondé que
sur la critique coloniale évidente dans les deux romans mais aussi sur l’atmos¬
phère étouffante et la pure horreur qu'incite l’immobilité de l’espace infini afri¬
cain. Les derniers mots de l’un des personnages de Conrad («L’horreur ! L’hor¬
reur ! »), qui étaient non sans raison devenus la devise de l'expérience coloniale,
sont également reconnaissables dans Onitsha.

Le récit commence avec le long voyage de Fintan, âgé de douze ans, et sa
mère Maou, de Marseille à Onitsha pour rejoindre le père de Fintan, Geoffroy
Allen, un Anglais qui travaille pour le United Africa Company. Quand ils arrivent,
ils remarquent tout d’abord l’immensité de cet espace, en particulier l'horizon
sans fin:

« Il n’avait jamais vu tant d'espace. Ibusun, la maison de Geoffroy, était située
en dehors de la ville, en amont du fleuve, au-dessus de l'embouchure de la
rivière Omerun, là où commençaient les roseaux. De l’autre côté de la butte,
vers le soleil levant, il y avait une immense prairie d’herbes jaunes qui s’éten¬
dait à perte de vue, dans la direction des collines d’Ihni et Munshi où s’ac¬
crochaient les nuages.»

De plus, en contemplant « l'étendue du plateau », Fintan se rend compte que
«c'était un endroit qui effaçait tout, même la brûlure du soleil et les piqûres des
feuilles vénéneuses, même la soif et la faim®. » Fintan et Maou partent de France
avec des sentiments mixtes, mais ils partagent tout de même un enthousiasme
naif pour ce pays exotique et étrange, si différent de ce qu’ils avaient vu jusque là.

À part la beauté captivante de l’espace nous pouvons également remarquer
la qualité presque spirituelle de l'étendue, un lieu où tout est idyllique. Ailleurs
dans le roman, Le Clézio montre — un peu dans l'esprit de Lévi-Strauss — que
cette qualité spirituelle prend ces origines dans les mythologies locales, très
similaires à la Bible. Dans sa critique de L’Africain, Bruno Thibault prétend que
Le Clézio essaie de construire un « mythe personnel » rétrospectif dans ses
romans, en ajoutant les valeurs découvertes au cours de son âge adulte‘. Ainsi,

+ J. M. G. Le Clézio, Onitsha. Paris, Gallimard, 1991, p. 68.

5 Ibidem, p. 160.

® Bruno Thibault, « Le Clézio, J. M. G. LAfricain ». The French Review, vol 79 n°2, 2005, p. 446-447,
446.

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