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MARIANN KÖRMENDY

aussi par l’impossibilite de déterminer la durée des événements racontés a cause
de l’absence des indications. Certains autres outils de construction complètent
ce tableau. Nous avons déjà mentionné le ralentissement ou l'accélération du
rythme. Prenons l'exemple de la construction du radeau prévu pour vider l'épave:
ce procédé de construction est relaté en une seule phrase courte, alors que la
construction de l’'embarcation censée lui servir à s'évader de l’île dure pendant
de longues pages et se réalise à une échelle temporelle bien différente: la saison
des pluies vient perturber l’entreprise que Robinson reprend par la suite comme
s’il ne l’avait jamais interrompue. La longueur des travaux est représentée éga¬
lement par la description extrêmement détaillée de l’Évasion, l'embarcation qu'il
veut construire. La description est tellement minutieuse qu’on a du mal à conce¬
voir que le bateau n'existe même pas au moment où le narrateur nous en livre
tous les détails.

Finalement, l'échec de la construction achève le processus : Robinson est privé
de la dernière chose qui l’attachait aux hommes : un but à réaliser, en l'occurrence
l'évasion. Désormais, il n’a plus que ses souvenirs et ses hallucinations lors de
ses passages dans la souille.

Nous ne pourrons analyser la suite du roman (où le temps acquiert un rôle
non moins intéressant), nous citons plutôt le moment qui marque le début de la
normalisation (provisoire) du temps, dans la première partie du chapitre III; il
a récupéré dans l'épave tout ce qui pouvait lui servir et décidé de tenir un log¬
book:

« Une ère nouvelle débutait pour lui — ou plus précisément, c'était sa vraie vie
dans l’île qui commençait après les défaillances dont il avait honte et qu’il
s’efforça d'oublier. C’est pourquoi se décidant enfin à inaugurer un calendrier,
il lui importait peu de se trouver dans l'impossibilité d'évaluer le temps qui
s'était écoulé depuis le naufrage de la Virginie. Celui-ci avait eu lieu le 30
septembre 1759 vers deux heures de la nuit. Entre cette date et le premier jour
qu’il marqua d’une encoche sur un fût de pin mort s’inserait une durée indé¬
terminée, indéfinissable, pleine de ténèbres et de sanglots, de telle sorte que
Robinson se trouvait coupé du calendrier des hommes, comme il était séparé
d’eux par les eaux, et réduit à vivre sur un îlot de temps, comme sur une île
dans l’espace’®. »

A partir de ce moment-la, les outils de la temporalité servent la cohérence:
la continuité est rétablie, en tout cas pour un certain temps. Les souvenirs

18 Ibidem, p. 45.

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