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MARIANN KÖRMENDY

dysfonctionnement ou simplement les perdre x dans les bois du roman et
d’ailleurs®» selon l’expression d’Eco.

La temporalité du récit

Notre analyse concerne essentiellement le flux du temps qui est donc un consti¬
tuant central de la cohérence de tout récit, qu'il soit linéaire ou non. L'auteur
dispose de nombreux outils pour créer la chronologie de son récit: à part les
temps verbaux, moyens évidents, il a aussi accès à toute une panoplie de locutions
temporelles et d’autres éléments de la langue. Ses choix seront avant tout énon¬
ciatifs. Pour la construction de la chronologie, l’auteur doit faire adopter à son
narrateur une sorte de position temporelle que la linguistique appelle, d’après
Reichenbach?, point référentiel (R), et les choix de temps verbaux seront faits en
fonction de celui-ci. Le système des temps verbaux français se prête parfaitement
bien à ce type de construction.

L'idée de prendre en compte le moment par rapport auquel les événements
sont considérés a toujours fait partie de la pensée grammaticale française!. Au
cours des siècles, les temps verbaux ont toujours été distingués selon le moment
par rapport auquel ils expriment un procès, un événement, toutefois cette
répartition des temps a changé de nom plusieurs fois ; actuellement on utilise le
plus souvent les termes absolu et relatif, fortement concurrencés par les termes
déictique et anaphorique, dont l'emploi diffère quelque peu du sens qu’on leur
donne dans le cas de la référence nominale.

Pour illustrer cette approche des temps, je vous propose l'exemple d’une
photo: dans tous les cas, nous pouvons identifier sans aucune difficulté le point
(de l’espace) à partir duquel la photo a été prise, bien que ce point se situe par
définition en dehors de la photo. Quant au temps, envisager des temps absolus
et relatifs suppose une position temporelle à partir de laquelle le procès en ques¬
tion est considéré: il s’agit en quelque sorte d’une photo temporelle. Comme le
photographe est maître de choisir d’où il prend sa photo, l’auteur est également
maître du choix du point de référence qui lui plaît pour son récit. Il a même plus
de pouvoir que le photographe: il peut lui même figurer sur sa photo temporelle

8 U. Eco, Six promenades dans les bois du roman et d'ailleurs. Trad. par Myriem Bouzaher, Grasset,
Paris, 1996.

° Reichenbach H., 1947: Elements of symbolic logic. Réédité en 1966, New York, Free Press.

10 Pour un bon résumé des descriptions, v. Vetters, op.cit.

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