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MARIANN KÖRMENDY

comment il perd tout ce gui le rattache au monde des humains : éloigné des terres
habitées, il est seul (jusqu’au moment où il trouvera Tenn, plus tard Vendredi),
il perd la possibilité de la communication, le regard de l’autre, la parole, puis ses
vêtements et il arrive même à un état animal où il n’a plus aucun attribut humain:
à la souille. À ce moment-là, il aura complètement perdu la notion du temps.
Cette période de défaillance est suivie d’une autre étape, celle de la construction
effrénée : il tente de construire un bateau, puis il légifère, construit une forteresse
et travaille la terre — autant d’activités qui pourraient ramener de l’ordre dans
sa vie mais finalement il en décidera autrement. Son voyage ne fait que commencer,
il descend dans ses propres profondeurs pour se reconstruire. Toutefois, notre
analyse s'arrêtera après ce premier état de détresse et de folie.

Nous aborderons d’abord les moyens linguistiques grâce auxquels la
chronologie s'établit pour permettre aux récits d'avancer, ensuite nous passerons
à l'analyse du passage. Nous partons de l’idée que si la langue est apte à exprimer
le flux temporel, le temps qui passe, elle est également apte à exprimer le temps
qui ne passe pas et nous sommes convaincus que les moyens qui sont utilisés
pour créer la temporalité d’un récit sont exactement les mêmes que ceux mis en
œuvre pour exprimer l'absence de cette temporalité.

Les cadres de cette communication ne permettent qu'une présentation
succincte des caractéristiques de construction des textes en général, nous nous
focaliserons donc sur les textes narratifs, et plus particulièrement sur la
temporalité pour mieux délimiter notre objet d'analyse.

L'univers du récit

Les textes narratifs ou récits servent à relater des faits, vrais ou imaginaires (cf.
la définition du Petit Robert). Tout récit évolue dans un univers complexe dont
le locuteur (l'écrivain, dans le cas d’un récit littéraire) est seul maître. Cet univers
se construit progressivement mais dès le début du récit, il possède des paramètres
concernant le temps, l’espace et les personnes. Du point de vue linguistique, pour
donner de la cohérence à un récit, l’auteur doit fournir des indications concernant
ces paramètres pour que le récit puisse poursuivre son cours. Il s’agit par exemple
de donner une date, de nommer les personnages ou de fournir différents com¬
pléments de temps, de lieu, de constructions adverbiales et pronominales, que
l’on appelle aussi marqueurs d’univers*.

3 V. entre autres J-M. Adam, Linguistique textuelle. Paris, Nathan, 1999., C. Vet, 1985: « Univers de
discours et univers d’énonciation : les temps du passé et du futur. » In Langue Française, n°67, p. 38-58.

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