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ENIKŐ SEPSI

Mais quelle est en effet la relation entre l'éternité et l'infini? Au cœur de
l'esthétique de Simone Weil, mais déjà dans la notion de politesse de son maître
d'Alain, se trouve la notion de mesure, un certain classicisme vis-à-vis de la
démesure du romantisme ; or, elle ne se contente pas d'affirmer la limite et l'ordre
compris dans le pythagorisme, mais paradoxalement, le désir d’infini, la passion
lui sont tout aussi essentiels à exprimer!°. Le point suspendu du poème, le «sus¬
pens », le point d'équilibre, ces « quelques secondes d'arrêt » de l’élan ascendant
qu’elle souligne aussi dans la musique de Monteverdi ou de Bach, est suivi par
le mouvement descendant, qui est l’image de l'opération de la grâce, l'amour
même : « La grâce est la source de tout cet art". » L'art, d’après Weil, ne s'élève
pas par imagination mais par contemplation du ciel étoilé!?. Il faut reconnaître
la limite sans pour autant se débarrasser de l'aspiration à l'infini:

«Avouer la limite, dans le moment même où on paraît devoir la dépasser et
exprimer une vocation transcendante, telle est la situation métaphysique
traduite par l’art humain authentique. Seulement, à la limitation métaphysique
correspond ici le don de la grâce transgressant la limite, révélant le type
d'union possible entre le fini et l’infini!?. »

Le principe de l’'union de l’illimité et du limité (de Philolaos à Platon) ne détruit
pas, mais amplifie, par sa puissance de conciliation, la vérité des êtres. Cette
expérience est donc une intuition du transcendant, et réalise l’unité du temps et
de l'éternité, conformément à la grâce qui se révèle dans l’instant et la durée. Il
s’agit d’une connaissance de l’universel dans et par le singulier. L'effet de ce genre
d'art est la joie, car il n’y a de joie véritable que dans le fait de la grâce. Comme
le malheur, la joie, en ne venant pas de nous, révèle les limites du moi et oblige
le «je» à se décentrer de lui-même. Mais à la différence du malheur, elle fait
désirer cet état d’effacement total où le «je » ne ferait plus écran entre le monde
et Dieu. La joie est donc aussi « décréation », selon la pensée de Simone Weil“.

«C’est une surabondance de grâces, quand la Providence met de beaux êtres
parmi de belles choses », écrit-elle!5. L'Italie, tout particulièrement Ravenne, est
apparue à Simone Weil comme expressive de la beauté du monde.

10° V. Emmanuel Gabellieri, Être et don. Éditions de l’Institut Supérieur de Philosophie, Louvain-la¬
Neuve, Éditions Peeters, Louvain-Paris-Dudley, MA, 2003, p. 243.

1 Simone Weil, Ecrits historiques et politiques. Paris, Gallimard, coll. « Espoir », p. 81.

12 Legons de philosophie de Simone Weil (Roanne 1933-1934). 3° édition par Anne Reynaud, Paris,
Plon, 1989, p. 199.

13 Gabellieri, op. cit., p. 245.

14V, Gabellieri, op.cit., p. 252.

5 Lettres a J. Posternak, Cahiers Simone Weil, X-2, juin 1987. p. 109.

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