Une deuxiéme loi découle de ces constats: ceux qui débutent dans la vie
contemplative avec une intention claire (celle de retrouver le bonheur ou apprendre
ce quest la contemplation), sont tous voués a l’échec. Pour expliquer cette logique
étrange, l’auteur recourt à la distinction de deux « moi » (self) : celui basé sur des
illusions (illusory self) qui cherche à être heureux et accompli (quoi que cela
veuille dire) et l’autre par nature contemplatif et spirituel qui ne cherche pas
l’accomplissement, car il est content d’être et rien que par cette existence il est
déjà accompli, puisque enraciné en Dieu“.
Dans cette perspective, tout ce que la contemplation peut entraîner chez la
personne, c’est la naissance d’un silence, d’une humilité et d’une indépendance
intérieurs qui peuvent contribuer à ce que ce moi intérieur, tout aussi mystérieux
que Dieu lui-même, apparaisse de manière « prudente, timide et imprévisible. »
Le moi qui se montre ainsi, timidement, n’a rien à voir avec un quelconque moi
idéalisé: il est simple, juste soi, mais un soi au sein duquel nous nous voyons
comme Dieu nous voit. Afin d’illustrer la découverte de ce soi dans sa simplicité
(qui est en méme temps d’une grandeur indicible), Merton cite un court poéme
zen sur le satori d’un certain Chao-pien, fonctionnaire chinois de la dynastie
Sung. Selon la théorie du zen, lorsque l’on parvient à un point de maturité
intérieure, n'importe quel événement peut déclencher le satori, « l’illumination »
qui consiste, pour le «traduire » dans un langage occidental, en une « réalisation
soudaine, définitive et intégrale du néant du moi extérieur, et donc une libération
du moi originel [...], qui n’est autre que l’ainsité*f », où l’ainsité est l'équivalent
du terme bouddhiste qui désigne la réalité telle qu’elle est. Voici le poème:
« Vide de pensée, j'étais assis calmement au bureau dans mon office,
Avec mon esprit comme une fontaine sans trouble, aussi serein que l’eau;
Un éclat de tonnerre soudain, les portes de l’esprit s'ouvrent violemment,
Et voilà, ici est assis le vieil homme dans tout son ordinaire.»
Cette description va donc à l’encontre de toute idéalisation d’un moi qui
apparaîtrait comme quelque chose de spécifique et déterminé au bout de longues
années de méditation: non, ce qui se présente ici, c’est «le moi réel [...] révélé
dans toute sa réalité” », dans « tout son ordinaire.» Ce moi intérieur se reconnaît
en même temps dans une vision totalement différente des choses:
34 Jbidem, p. 2.
35 Ibidem, p. 6.
% Idem, « L'expérience intérieure. Notes sur la contemplation ». In Chemins de Dialogue, n°15, 2000,
p. 24.
37 Ibidem, p. 25.