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CONTRASTE SUR LE RAPTUS

pourtant contemporaines: le theologien dominicain Ihomas dAguin (t 1274)
essaie d’expliquer l’experience paulinienne dans les categories de la psychologie
aristotélicienne ; un prêcheur anonyme de la même époque présente en revanche
une interprétation morale et symbolique. Pour le premier, le raptus est un
événement qui a eu lieu dans l’histoire, pour le second, il s’agit d’une expérience
mystique concernant l’âme de tout fidèle. C’est justement le contraste existant
entre ces deux approches qui permettra de mettre en relief la richesse des
interrogations que le ravissement de Paul évoque.

D'après Thomas, deux hommes seulement ont joui, dans l’histoire du salut,
d’une vision directe de l'essence divine durant la vie mondaine : Moïse, à qui Dieu
parlait comme un ami parle à son ami, « bouche à bouche » (ore ad os: v. Num.
12, 8), et l'apôtre Paul lorsqu'il fut enlevé au troisième ciel5. Lorsqu'il traite du
phénomène du raptus au sens de vision avant l'heure de l'essence divine, Thomas
Videntifie principalement au raptus de Paul, qu’il considère ainsi être un cas
unique dans l’histoire humaine‘.

Le raptus de Paul est une expérience individuelle qui rompt avec les caractères
ordinaires de l'expérience humaine. La Glose ordinaire affirme, à propos du
raptus de Paul: «raptum, id est contra naturam elevatum » («... élevé contre
nature »)°. Les thèmes du «contre nature » et de la violence, qui sont au coeur
de la réflexion de Thomas sur le raptus, sont explicitement évoqués par les
théologiens antérieurs 4 Thomas: le raptus est souvent décrit par eux comme
une « violenta tractio », une élévation violente, c’est-a-dire un enlevement‘.

Si le raptus est bien une élévation contre nature’, il ne s’agit cependant pas
d’une expérience qui anéantit la nature; l’opposition entre le raptus et la nature
n’est pas radicale. Composé d’un corps sensible et d’une ame intellective, il est
naturel que l’homme pense (intelligit) à travers la sensibilité et l'imagination:
tout ce qui parvient à l'âme intellective, lui parvient par le moyen de la sensibilité$.

Il est en revanche contraire à l’ordre naturel le fait que l’homme pense tout
en étant détaché ou dissocié (abstractus) de la sensibilité et du corps. Cette
dissociation peut se vérifier de deux manières différentes : premièrement, par un

3 Les lignes fondamentales de cette exégèse se trouvent chez saint Augustin, Liber de videndo Deo,
13, et De genesi ad litteram, livre XII.

+ Voir, à ce propos, Thomas de Aquino, Quaestiones disputatae de veritate, 13, 2, ad 9m, où Thomas
distingue notamment le raptus de Paul du sommeil (sopor) dans lequel Dieu a plongé Adam (Gen.
2, 21).

5 Biblia latina cum Glossa Ordinaria, Facsimile Reprint of the Editio Princeps, Rusch, A., of
Strassburg 1480/81, introduction by Froelich, K., and Gibson, M. T., Turnhout, Brepols, 1992, 4 vol.
® Voir, a ce sujet, les études de Barbara Faes mentionnées ci-dessus, note 2.

7 Thomas de Aquino, Quaestiones disputatae de veritate, 13, 1, s.c.; Summa theol. 1 Il, 175, 1, s.c.
8 Thomas suit sur ce point la psychologie aristotélicienne (notamment De an. III).

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