mais à se conformer pleinement à la place qui nous a été assignée dans la
planification divine du monde. Le Stoïcien se fond dans l’ordre divin, tandis que
le Néoplatonicien tente de remonter jusqu’à l’Un: l'accord avec le divin demande
seulement un travail sur soi. L'homme n’est pas coupé du divin par le mur chrétien
du péché, que seule la Grâce permet de franchir, de sorte que la conscience
chrétienne de finitude, marquée par le poids du péché, réduit l’homme à une
identité douloureuse, ontologiquement séparée du divin, qui, symétriquement,
va se trouver caractérisé par l’infinitude. Et cette finitude humaine, éprouvée
dans cette identité douloureuse du pécheur, clôt cette identité sur elle-même,
dans la conscience de l'enjeu infini dont Pascal fera le ressort de son pari. Le
chrétien joue son éternité à chacun de ses actes: si la mort le saisit en état de
péché mortel, il est voué à l'enfer. Cette dramatisation valorise par là-même le
sujet, qui devient une personne. C’est paradoxalement cette conscience du risque
qui accorde à la personne une telle valeur : l’homme découvre qu’il a une valeur
infinie, quise joue sur une éternité de bonheur ou de supplices, dans l'expérience
même de sa finitude, qui le confronte à chaque instant au péché.
Les Grecs n'ont donc conceptualisé ni la finitude ni la clôture du sujet sur
lui-même, dont on vient de voir qu’elles étaient conceptuellement liées à la
conscience chrétienne. L'expérience contemplative ne s’inscrit pas pour eux dans
l'opposition de la finitude à un infini, mais dans la continuité de l'élément au
tout. Le monde est pour les Anciens le tout (Tù nüv, qui, en passant par le latin,
deviendra notre univers), et le tout est fini, parfait, de sorte que le spectacle de
l'univers donne le sentiment de l’ordre et de la beauté, mais non celui de l’infini.
L'univers infini de Pascal a été ouvert par Nicolas de Cues puis mathématiquement
formalisé par Galilée, qui rompt avec la sphéricité des Anciens, pour construire
un univers orthogonal sans limite, qui prévaudra jusqu’à Einstein.
Si faire éclater sa finitude par l’ouverture perceptive n'était pas un enjeu
théorique pour les Grecs, ils ont néanmoins, dans leur propre cadre conceptuel
d'un cosmos ordonné par le divin, pensé l'expansion du sujet jusqu’à une
conscience cosmique, non seulement à travers la considération de l’ordre cosmique
et de la place assignée à chacun par la providence, mais aussi à travers une
expérience de pensée : imaginer qu’on s'élève progressivement dans les airs, voir
les hommes et les choses rapetisser, les pays et les frontières se réduire jusqu’à
n'être presque rien, et se dire que les petites choses qui nous occupent, ne sont
rien à côté de l’ordre universel grandiose du cosmos.
Cette expérience, qu'on trouve notamment chez Sénèque!!, n’induit aucun
vertige, contrairement à celle des deux infinis de Pascal, justement parce qu’il