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Bayonne. Dans la cave du duc de Nivernais, en 1782, il y a 360 bouteilles de sau¬
ternes de l’année 1770” ; dans l’énorme cave du duc de Penthièvre, prisée deux fois
en 1793, il y a 325 bouteilles de sauternes, 28 de barsac et 60 de langon, ce qui tou¬
tefois reste très en-deçà des vins ibériques : plus de 1300 bouteilles”. Cependant,
lorsque Benjamin Franklin commande du vin en 1783, il fait venir par Rouen 6
tonneaux de vin de Langon et 3 de vin de Barsac, ainsi qu'un tonneau et demi de
margaux”. Il y a bien une clientèle riche-ou même très riche- qui prise fort le sau¬
ternes dès la fin du XVIIT: siècle : entre 1771 et 1786, Romain Barthélémy de Fil¬
hot effectue le quart de ses ventes sur Paris, et nombre de ses acheteurs font partie
de l’entourage royal ! *’Cette limite sociale de la clientèle parisienne du sauternes
vient-elle de son prix élevé ? On pourrait le penser puisqu’en 1821 la bouteille de
sauternes que l’on trouve dans la cave du restaurant Gaufier vaut 4 francs, ce qui
la met toute proche de la valeur de celles des muscats de Syracuse ou des vins de
Constance. Mais un tel prix apparaît exceptionnel : en 1860, le sauternes est très
bien représenté au Pavillon Le Doyen mais les 120 bouteilles valent moins que les
graves ou les margaux, et les Yquem moins encore, ce qui correspond tout à fait à
une réalité ancienne toujours présente sous le Second Empire’. En effet, les prix
de 1740 relevés par Marcel Lachiver placent les vins blancs doux du Bordelais loin
derrière les médocs et les premiers crus des graves : 300 livres le tonneau d’un côté,
1500 à 1800 de l’autre. En 1855, à l’occasion du célèbre classement des grands vins
de Bordeaux”, les sauternes ne sont évalués qu’à 2000 à 2500 francs le tonneau,
les quatre grands rouges entre 4000 et 6000 francs. Une autre raison de la faible
place dans les caves parisiennes des vins doux ou liquoreux du Bordelais et des
Hauts-Pays aquitains s'explique aussi par l'importance des achats effectués par les
commissionnaires hanséates ou hollandais avant les guerres révolutionnaires. Ces
achats donnaient lieu à l'envoi dans les pays du Nord de considérables quantités de
vins parmi lesquels les vins blancs l’emportaient de très loin*!. Ils correspondaient

24 AN, MC/ET/LVII/558,18/03/1782.

5 Renée Lemaitre, « La cave du duc de Penthièvre à Sceaux d’après les inventaires de 1793 », Actes du
Quatrième Colloque de la Fédération des Sociétés historiques et archéologiques de Paris et de 1 ‘Île-de-France :
La vigne et le vin en Île-de-France, Paris, 1983, p- 301-317.

26 AN, Z/2/3875,03/07/1783. -Les vins sont expedies par un certain Shaleck, negociant A Bordeaux. Il
s’agit d’un nom très déformé et nous n’avons pu retrouver qui il était en réalité.

Stéphanie Lachaud, Le Sauternais moderne : Histoire de la vigne, du vin et des vignerons, des années 1650 à
la fin du XVIIF siècle, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2012, p. 338-347.

Sur les caves des restaurants parisiens, Jean-Pierre Poussou, « Une source importante pour l’histoire de
la consommation de vins parisienne et son évolution : quelques caves à vins de restaurateurs parisiens
de la Restauration au milieu du Second Empire », dans Dominique Le Page, Jérôme Loiseau et Alain
Rauwel, Urbanités : Vivre, survivre, se divertir dans les villes (XV-XVIIF siècle), Dijon, Éditions univer¬
sitaires de Dijon, 2012, p. 303-327.

# Dewey Markham Jr, 1855 : A History of the Bordeaux classification, New York, John Wiley and Sons, 1953,
p- 281-283.

Cependant, le Second Empire fut marqué par la vogue du sauternes qui connut une sorte de triomphe
lors de l Exposition universelle de 1867 car il « était devenu sans rival dans la catégorie des vins liquoreux
naturels ». —Philippe Roudié, Le vignoble bordelais, Toulouse, Privat, 1973, p. 88.

Voir « l’état des vins qui se chargent à Bordeaux » en 1740 dans Marcel Lachiver, Vins, vignes et vigne¬

rons... op.cit., p. 304.

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