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Le vieillissement du vin apparait comme le gage d’un goût équilibré aux saveurs
relevées que semble apprécier le diplomate. Pour les vins de Sauternes, plusieurs
observateurs de la fin du XVIII siècle et des premières décennies du XIX° siècle
évoquent un même goût de pierre à fusil, ce qui correspond à un arôme semblable à
l’entrechoquement de deux silex”. Pour Vaysse de Villiers, par exemple, les vins de
Sauternes figurent à son « goût » parmi les meilleurs de France et « aucun autre ne
possède au même degré ce bouquet bordelais (car les vins blancs ont aussi le leur),
ce goût de pierre à fusil si recherché des amateurs »”°. Pour le Guide pittoresque du
voyageur en France, « leur arôme offre une légère analogie avec le girofle ; de plus,
on y distingue quelque chose d’assez semblable à l'odeur de pierre à fusil » et il
ajoute qu’ils « ont beaucoup de moelleux, de finesse, de spiritueux, une sève aro¬
matique très agréable et un charmant bouquet »!. En 1780, le négociant bordelais
Cabarrus dans une lettre envoyée à John Adams, ancien ambassadeur en France,
note à propos des vins de Sauternes, Preignac et Barsac qu’ils « portent un goût
de liqueur, et par vétusté, le goût et la couleur du vin des Canaries »?, Ce goût
de pierre à fusil qui dénote des saveurs épicées est aussi attribué à des vins blancs
bordelais (sans plus de précision) dans une lettre de John Black, marchand anglais
installé à Bordeaux, à Lord Grantham, ambassadeur d'Angleterre à Madrid au
sujet de l’expédition de bouteilles de vin”. Dès lors, on peut penser que certains
vins de Sauternes n'étaient pas si sucrés que cela, devaient se rapprocher d’autres
vins blancs bordelais ou du moins que leur teneur en sucre résiduel était éloignée
de celle que nous connaissons aujourd’hui.

Les possibles accords avec les mets tendraient à confirmer ce constat. I] semble
ainsi d'usage de servir du Sauternes avec des huîtres. De passage à Bordeaux en
1811, Andrew Thomas, lord Blayney of Monaghan, se fait servir à l'Hôtel du Prince
un plat d’huîtres arrosé d’un vin de Sauternes, « seul vin, dit-il, que l’on puisse
boire avec ces fruits de mer et qui est digne de sa renommée »*. Le Hollan¬
dais Adriaan van der Willigen accompagne de même les huîtres vertes de son
déjeuner avec du vin de Graves et de Sauternes lors de son séjour à Bordeaux en
1804". Le Sauternes fait partie de la liste des vins (au côté des vins de Chablis,
de Carbonnieux, de Meursault ou d’Arbois) à être servis avec des huîtres selon
un manuel domestique de 18007. L'écrivain gastronome Brillat-Savarin confirme

® Cet arôme de pierre à fusil caractérise aujourd’hui des vins comme ceux de Tokay ou Pouilly-Fuissé.

70 Jean Vaysse de Villiers, Itinéraire descriptif ou description routière, géographique, historique et pittoresque de
la France et de l'Italie, région du Sud, routes de Paris en Espagne, Paris, 1823, p. 37.

| Guide pittoresque du voyageur.…., op. cit., tome 1 p. 50 et tome 6, p. 17.

72 “To John Adams from B. de Cabarrus Jeune, 8 April 1780,” Founders Online, National Archives, https://
founders.archives.gov/documents/Adams/06-09-02-0089-0001. [Original source: The Adams Papers,
Papers of John Adams, vol. 9, March 1780-July 1780, ed. Gregg L. Lint and Richard Alan Ryerson.
Cambridge, MA: Harvard University Press, 1996, pp. 116-117.]

73 Bedfordshire Archives, L 30/14/36/8, lettre du 30 octobre 1773.

™ Robert Coustet, « Un Anglais à Bordeaux sous le l’Empire », Société Archéologique de Bordeaux, tome
LXXVII 1986, p. 127-130.

7 Th. Amtmann, « Les impressions d’un Hollandais à Bordeaux en 1804 », Revue historique de Bordeaux et
du département de la Gironde, n°6, 1913, p. 264.

76 Marie de Saint-Juan, Du salon à la cuisine : les secrets de la cuisine d'amateur révélés aux jeunes maîtresses de

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