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vins doux sont en effet souvent l’objet de presents honorifiques et on peut aussi
déceler dans ces pratiques quelques évolutions significatives. Les cadeaux des corps
de ville 4 des personnages influents comme des membres de la famille royale,
des ministres, des grands seigneurs, des gouverneurs ou des intendants sont une
pratique répandue durant l’Ancien Régime*°. Les pièces de dépenses révèlent que
les vins doux sont un don assez courant. Aux XVI° et XVII siècles ainsi que
dans les premières décennies du siècle suivant, on retrouve des vins de Chypre,
de Frontignan et des vins liqueurs à Lyon, Tours ou Amiens*!. Mais, au cours du
XVIII siècle, une légère inflexion s'opère. Les vins de liqueur étrangers ou le mus¬
cat de Frontignan servent toujours de cadeaux, mais d’autres vins doux sont aussi
proposés. Ainsi, à Bordeaux, dans la première moitié du XVIII: siècle, les vins de
Frontignan ou des Canaries font partie des présents d'usage : en 1724, le maréchal
de Tessé, en route vers l'Espagne en tant qu'ambassadeur extraordinaire, reçoit de
la Jurade 24 boites de confitures et 24 bouteilles de vin des Canaries (on retrouve
ici une association récurrente entre plusieurs saveurs sucrées)?. À partir des an¬
nées 1750-1760, les vins de Sauternes font leur apparition dans les comptes. Ils
s'inscrivent dans une stratégie pour satisfaire au mieux le goût de personnages de
premier plan à Paris et Versailles. Dans sa correspondance, en décembre 1787, le
chargé d’affaires de la ville à Paris précise que les vins de Sauternes sont à la mode
à Paris et qu’ils pourraient donc parfaitement servir aux présents annuels faits par
la Jurade aux principaux ministres chaque début d’année*. Cet emploi des vins de
Sauternes à la veille de la Révolution figure également dans les présents faits par
l'archevêque de Bordeaux à d’autres prélats et témoigne d’une légère évolution du
goût en matière de vins sucrés**. Dans les relations privées, les vins doux sont em¬
ployés de la même manière pour servir de présent. Ainsi, à Ferney, Voltaire reçoit
du comte de Fekete cent bouteilles de vin de Tokay, mais aussi des vins des Cana¬
ries envoyés par le comte d’Aranda*. L'appui sur des réseaux diplomatiques pour
se fournir ces vins appréciés confirment leur valeur symbolique et leur importance
dans la culture alimentaire des élites européennes. Plusieurs aristocrates anglais
se procurent ainsi des bouteilles de Tokay qu'on retrouve mentionnées dans leur
correspondance. Le chargé d’affaires du Roi de France à Malte sollicite réguliè¬

3% Philippe Meyzie, « Les cadeaux alimentaires dans la Guyenne du XVIII siècle : sociabilité, pouvoirs et
gastronomie », revue Histoire, Économie, Société, janvier-mars 2006/1, p. 33-50.

3 Archives municipales de Tours, CC 71, présent de vin de Frontignan pour l’intendant (1700) ; Archives
municipales d'Amiens, CC 562, présents de vin de liqueur pour le duc de Chaulnes (1732) ; Archives
municipales de Lyon, CC 4426, présents de vins muscats de Condrieu (1676) et Eugène Vial, « Présents
d'honneur et gourmandise », Revue d'histoire de Lyon, 1910, p. 122-148, 277-300 et 377-401.

% Archives départementales de la Gironde, C 3643, réception et passages de personnages importants
(1578-1771).

3 Archives Bordeaux Métropole, BB 189, 11 décembre 1787.

34 Stéphanie Lachaud, « Le verre et le vin à la table du haut clergé bordelais sous l'Ancien Régime », dans
Christophe Bouneau et Michel Figeac (dir.), Le verre ef le vin..., op. cit., p. 49-62.

% Christiane Mervaud, « Du nectar pour Voltaire », Le vin, revue Dix-huitième siècle, n°29, 1997, p. 137-145
et « La gourmandise contrariée de Voltaire », dans Philippe Meyzie (dir.), La gourmandise entre péché et
plaisir, numéro 11, revue Lumières, 1° semestre 2008, p. 73-89.

36 Jeremy Black, British Diplomats and Diplomacy 1688-1800, University of Exeter Press, Exeter, 2001, p.

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