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Des vins doux très prisés

S'ils ne représentent pas les mêmes volumes que les vins rouges ou blancs ordinaires
dans les caves et les consommations, les vins doux sont néanmoins omniprésents
chez les élites françaises et européennes. Avoir quelques bouteilles de Frontignan
ou de vins de Chypre fait partie des usages courants au sein de l’univers nobiliaire
en particulier car ces vins doux répondent à la fois à une recherche de la distinc¬
tion par le goût et à des modalités de consommation liés aux principes médicaux
évoqués précédemment. Mais si les vins méditerranéens continuent d’avoir cette
fonction particulière au XVIII: siècle, d’autres vins doux, de nature différente, à
l'instar du Sauternes, commencent à prendre une place croissante dans les années
1770-1780, indice d’une nouvelle forme de singularité à travers la recherche de
vins aux saveurs différentes.

Les inventaires de caves et les ventes de vin permettent de constater tout d’abord
que ces vins sont généralement conservés en bouteilles et vendus par des épiciers
ou des magasins de comestibles à partir de la fin du XVIII: siècle, ce qui les dis¬
tinguent de l'essentiel de la production commercialisée essentiellement par des
marchands de vin et expédiée en barriques"”. L'usage de bouteille en verre pour des
vins à forte valeur marchande et commercialisés en petites quantités sur de longues
distances explique en partie ce choix. Les catégories utilisées par les notaires ou les
marchands les classent le plus souvent parmi les vins de liqueur et confirment leur
position singulière. En janvier 1765, l’état de la cave du marquis de Briges comp¬
tabilise les vins de Langon et de Saint-Péray parmi les vins de liqueur aux côtés
du vin de Chypre, de Malaga, de Madère, de Pacaret, de Rivesaltes, etc!#. Dans
celle de Charles de Lorraine à Bruxelles, les vins de Graves sont rangés parmi les
vins de liqueur”. En 1782, l’état de la cave du duc d’Aïguillon dénombre dans la
catégorie vin de liqueur des bouteilles de vins de Pacaret, de Malaga, de Rota ou
de Rivesaltes”. La catégorie de vins d’entremets peut aussi être présente comme
on l’observe dans la cave parisienne du magistrat Charles Gilbert de Morel-Vin¬
dé en 1837 qui s'inscrit dans la continuité du siècle précédent : on y distingue le
Jurançon, le Saint-Georges et le Tavel parmi les entremets rouges, du Sauternes,
du Bergerac parmi les entremets blancs et dans la catégorie « dessert » les vins de
Frontignan, Malaga, Constance, Rota, Alicante?!. Les inventaires des caves pari¬
siennes confirment que les vins ibériques sont désignés par les notaires comme vins

7 On trouve ainsi des vins de Frontignan vendus aux cotés de fromages de Roquefort ou de raisins de Ca¬
labre par des marchands épiciers comme Cabannes à Lyon (Archives départementales du Rhône, 8 B
720), Pletinckx à Bruxelles (Archives générales du Royaume, T 125/5) ou un épicier anonyme bordelais
(Archives départementales de la Gironde, 7 B 3062).

18 Archives départementales des Yvelines, E 540, Fonds de Briges, État de la cave (1765)

1 Archives générales du Royaume (Belgique), Maison de Charles de Lorraine, I 221.

20 Archives Municipales d'Agen, II 13, État des vins qui sont à Aiguillon, 1° avril 1782.

1 Archives départementales de l'Aube, Fonds de la Motte-Tilly, 144 J 177, Etats de la cave de Charles
Gilbert de Morel-Vinde.

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