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Lattrait des douceurs sucrées

Le succès des vins doux durant plusieurs siècles dans l’Europe moderne s'inscrit
dans une valorisation culinaire, sociale et culturelle ancienne des saveurs sucrées.
Si la douceur du miel ou des fruits d’été est relativement commune, celle issue de
la transformation de la canne à sucre demeure plus exclusive.

Le sucre venu d'Orient reste en effet une denrée très rare jusqu'au XV: siècle,
même si le goût du sucre s'affirme peu à peu aux XIV° et XV° siècles dans la
haute-cuisine. Sous l'influence italienne, son usage se développe dans les recettes
de livres de cuisine comme le Viandier de Taillevent en 1436°. La production des
Canaries ou de Madère alimente alors le marché européen. Le plaisir du sucré
existe donc avant l'essor de l’économie coloniale et des plantations aux Antilles ou
au Brésil. Mais seule des petites quantités sont utilisées dans la cuisine des élites.
Il s’agit alors d’un goût finalement d'exception qui n'entre pas dans les références
courantes de l’époque. Les XVII' et XVIII siècles marquent un tournant majeur
dans ce domaine. Tout d’abord, le développement d’une économique de plantation
en Amérique entraîne un afflux massif de sucre en Europe. Les élites européennes
partagent un goût marqué de l’exotisme®. Le sucré est de plus en plus recherché
et partout. Par ailleurs, la grande cuisine française connaît des transformations
importantes à partir du milieu du XVII: qui vont peu à peu être suivies dans une
bonne partie de l’Europe’. S’impose alors une séparation plus nette entre salé et
sucré, dans les plats comme au cours du repas. Avec le recul des épices et l’usage
croissant du beurre, des saveurs plus douces sont ainsi privilégiées. De plus en
plus, les préparations sucrées sont placées au service du dessert et tendent à sy
multiplier’. Dans la seconde moitié du XVIII° siècle, des pâtisseries nombreuses
et variées agrémentent la fin du repas. Le métier de pâtissier se transforme peu
à peu à travers le développement de ces préparations sucrées. Jusqu'alors les pâ¬
tissiers étaient spécialisés dans la confection de tourtes et de pâtés en croûte. Ils
élargissent leur gamme de produits en proposant des tartelettes, des gâteaux ou
des biscuits’. La bouche des élites est alors très imprégnée de saveurs sucrées en
tout genre : crèmes, pâtisseries, confiserie, etc!!. La libération de la gourmandise

> Florent Quellier et Pascal Brioist (dir.), La Table de la Renaissance. Le mythe italien, Rennes-Tours, Presses
Universitaires de Rennes/Presses Universitaires François Rabelais, 2018.

$ Erick Noël, Le goût des Iles sur les tables des lumières ou l'exotisme culinaire dans la France du XVIIF siècle,
Presses Universitaires de Nouvelle-Aquitaine, La Geste, La Crèche, 2020.

7 Philippe Meyzie, L'alimentation en Europe à l’époque moderne, Paris, Armand Colin, 2010, p. 243-245 ;
Bruno Laurioux et Kilien Stengel (dir.), Le modèle culinaire français (XVIT-XXTF siècle), Tours, Presses
Universitaires François Rabelais, 2021.

8 Jean-Louis Flandrin, « Le sucré dans les livres de cuisine français, du XIV* au XVIII: siècle », Journal
d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 35X année, 1988. p. 215-232.

* Madeleine Ferrières, article « Pâtisserie » dans Michel Figeac (dir.), L'Ancienne France au quotidien. Vies et
choses de la vie sous l'Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 2007, p. 395-396.

10 La cour de Marie-Antoinette en fournit un bon exemple ; voir Pierre-Yves Beaurepaire, Marie-Antoi¬

nette. Une biographie gastronomique, Paris, Payot, 2016.

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