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+ KÉP, JELENLÉT, KENOZIS ? pulsation mentale, le niement du souffle. À la croisée profonde du vivant et au fond de la forge respiratoire et de notre cœur rythmique, le temps bat. Ne pas oublier, n'oublier jamais le niement du temps. Le temps pulsif, réversible, spasmé, spamal, pulsant, discontinu, avançant par sauts : le temps contre toute attente : il sait aller à l'envers, sauter les marches, se retourner contre lui ; le temps éclipsant, quittant la mesure, par écliples, par ellipses, sautant les degrés. Le temps par-dessus les chiffres. Le spectateur au théâtre attend ça : qu'on lui démesure le temps. Il attend, il entend le temps salvateur, exultant : le temps du retournement de la mort a la vie. Je t’écris d’une île du Dodécanèse, immergé dans une langue que j'ignore : le grec ; une langue dans laquelle, j'aimerais parfois, dans un désir très enfantin, penser justement parce que je l’ignore. Comme marcher sur une terre ôtée sous mes pieds : une langue négative et se retirant — qui porte (si l’on commence à en comprendre, à en balbutier quelques mots) qui emporte toute la pensée vers le déséquilibre — et dans le boitement sans lequel rien n'avance. Une langue qui nous rappelle que les mots en savent plus que nous et qu’il faudrait un jour définitivement interdire l'expression « posséder une langue » : car c’est cet ‘tement, cette ellipse, cette éclipse en nous, cette coupe sous nous, ce manque, cet amour (c’est-à-dire cette non-possession), qui donne au langage son pouvoir d'appel. Et Le tranchant de la parole. Je viens au théâtre voir l'animal humain insoumis, pris dans les filets des mots et s’en délivrant par la parole. J'entends s'écrire devant nous les traces orales de l’homme dans l’espace ; j'attends l'entrée dans le théâtre comme dans une prison joyeuse et dans le cirque de la chasse à l’homme ; j'entre dans un lieu où s’écrivent dans l'air des pensées d'animaux ; j'entre rire ; j'entends être délivré un instant de l’idolâtrie humaine. Le spectateur et l'acteur, tous les deux sont des travailleurs de la mémoire. Dans la mémoire, il y a de la prophétie : des liens révélés, des éclairs soudain symphoniques ; comme pour nous faire voir en un point seul toutes les choses de l’univers ensemble, d’un éclair, joueur. Alors, une réjouissance de la mémoire a lieu et nous rejoue tout : par + 236 +