Les deux sujets d’étude intitulés : le régime corporatif et la question agraire, se
rattachent directement ou indirectement a tous les principes essentiels d’un
ordre social chrétien. Ces deux sujets eux-mémes se touchent et peuvent se
relier, il est tel point de vue où l’on pourrait les traiter ensemble et comme ne
faisant qu'un. Placés, comme nous le sommes, sur un terrain opposé à celui
de l’économie politique libérale, nous devons arriver tout naturellement à
envisager ce point de vue commun aux deux questions et nous le saisirons
d'autant mieux que nous aurons mieux compris en quoi et pourquoi l’économie
moderne a détruit les bases même de l’ancien ordre social, en quoi et pourquoi
elle n’a su mettre a la place qu’un véritable état de guerre de tous contre tous,
état de guerre qui tend chaque jour davantage à préparer la plus complète
anarchie.
Qu'il me soit donc permis de rappeler ici rapidement ce que nous savons
tous : l’ordre social ne peut être fondé ou maintenu que par des liens moraux.
Or grâce à la double nature de l’homme, à cause surtout de l’état déchu de cette
nature, il peut y avoir, il y a souvent opposition entre les tendances morales et
les appétits physiques de l'humanité. Il résulte de là que la science économique
fut-elle absolument dépourvue d'erreurs, serait incapable à elle seule de jamais
fonder un ordre quelconque dans une société humaine. Cette science a eu
effet pour objet l'étude des biens matériels (la richesse), de leur production, de
leur circulation et de leur consommation ; elle a donc droit aux besoins, aux
efforts, aux appétits de l’homme matériel si je puis m’exprimer ainsi, mais elle
est par elle-même incapable d'envisager les aptitudes, les aspirations ou les
devoirs de l’homme moral.
Il est certain, par exemple, que la science économique, lorsqu'elle traite
de la production, reste fidéle 4 son programme en recherchant quelles sont
les meilleures méthodes pour l’augmenter indéfiniment. Elle peut arriver à
trouver la meilleure de toutes et à résoudre ainsi, dans une mesure que je
veux supposer parfaite, le problème qu’elle s'était donné la tâche d'étudier.
Mais il peut arriver, d’autre part, que la science sociale qui étudie surtout les
hommes au point de vue des vérités de l’ordre moral, qui doivent régler leurs
rapports, leurs droits et leurs devoirs mutuels, arrive à cette conclusion que,
dans tel ou tel cas, produire le plus possible serait plutôt mauvais que bon.