UN PAYSAGE URBAIN PATRIMONIALISÉ: LE QUARTIER SAINT-HENRI DE MONTREAL
verait son but. Il ne lui arrivait pas de croire que son destin, elle pût le rencontrer
ailleurs qu'ici, dans l'odeur violente du caramel, entre ces grandes glaces pendues
au mur où se voyaient d’étroites bandes de papier gommé, annonçant le menu du
jour, et au son bref, crépitant, du tiroir-caisse, qui était comme l'expression même
de son attente exaspérée. Ici se résumait pour elle le caractère hâtif, agité et pauvre
de toute sa vie passée dans Saint-Henri (Roy, Bonheur d'occasion 9).
La romancière manitobaine considère le Québec comme son pays; non seule¬
ment elle le désignera souvent dans son œuvre par les termes maison, foyer,
nid, mais elle avoue qu’il lui a toujours inspiré un sentiment de sécurité totale.
À travers l'admiration qu’elle voue à ses grands-parents Landry, ces éternels
«chercheurs d'horizon (Ricard, Gabrielle Roy 45)» - comme elle les appelle
—, le Québec prend dans son esprit une dimension quasi mythique. On voit
bien que la création veut mémoriser, immortaliser son objet et le fixer dans le
temps.
Figure 3. La place Saint-Henri avec ses tramways, ses barrières de traverse de chemin
de fer et l'église de Saint-Henri démolie en 1969, 29 août 1945. BAnQ Vieux-Montréal
(P48,S1,P11914). Conrad Poirier
La patrimonialisation du quartier entamée par l’écrivaine québécoise est suivie
de deux documentaires, toujours en hommage au roman Bonheur d'occasion et
aux habitants du quartier Saint-Henri: le documentaire intitulé À Saint-Henri
le cinq septembre, réalisé par Hubert Aquin en 1962 porte sur une tournée de 24
heures dans le quartier. On y découvre la simplicité de cette population franche,
ni très riche, ni absolument pauvre, qui a commencé à décroître alors que Saint¬
Henri n’abrite plus les tanneries. Un deuxième documentaire le suit sous le titre
À St-Henri, le 26 août, réalisé par plusieurs cinéastes documentaristes qui