devient connue du grand public. Elle se fait un nom dans le Bulletin des Agri¬
culteurs, notamment grace a des séries de reportages publiés dans plusieurs
numéros. Entre 1941 et 1945, les reportages de Gabrielle Roy brossent un
portrait saisissant de Montréal («Tout Montréal», 1941), couvrent l'exil de
colons madelinots en Abitibi («Ici l’Abitibi », 1941-1942) ou dressent un tableau
des caractéristiques socio-économiques de diverses régions du Québec («Ho¬
rizons du Québec», 1944-1945).
Plus qu’un simple gagne-pain, la collaboration au Bulletin peut être envisa¬
gée comme le point de départ du parcours littéraire de Gabrielle Roy- comme
nous explique Antoine Boisclair en citant le biographe de Gabrielle Roy -,
c'est-à-dire à la fois comme un apprentissage décisif et comme une « première
consécration [...] qui l’oriente définitivement vers l'écriture» (Boisclair 107),
la compassion, l'intérêt pour les minorités culturelles et les colonies, mais
aussi la fascination pour le nomadisme et les personnages solitaires ainsi que
le goût des paysages et de la géographie. Du point de vue de l'écriture, c’est
également en rédigeant ces articles qu’elle va acquérir un style personnel.?
Le Bulletin des agriculteurs permet à Roy de vivre un peu plus confortable¬
ment et de disposer du temps libre nécessaire à l'écriture d’un roman. C’est un
projet auquel elle pense depuis un moment déjà et qu’elle a commencé à réa¬
liser en 1941 ou 1942. Ce roman est le Bonheur d'occasion dont elle termine
une première version durant l'été 1943, en Gaspésie, et qui marquera à jamais
le paysage littéraire québécois. Inspiré par les reportages de Gabrielle Roy sur
le quartier ouvrier de Saint-Henri durant la Seconde Guerre mondiale, Bonheur
d'occasion offre le portrait saisissant des classes populaires de la métropole,
aux prises avec la pauvreté et le chômage. Publié en juin 1945, ce premier roman
de Gabrielle Roy connaît un succès fulgurant et est célébré par la critique pour
son réalisme et pour la qualité de la plume de son auteure. Ce premier roman
urbain de la littérature québécoise a remporté plusieurs prix: Le Prix Femina
1947 en France et une médaille de l'Académie canadienne-française. Le 12 août
2017, la parution du roman Bonheur d'occasion a été désignée en tant qu'évé¬
nement historique, en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.
L'histoire se déroule à Montréal, principalement dans le quartier ouvrier et
défavorisé de Saint-Henri, entre février et mai 1940, au cours de la Seconde
Guerre mondiale, alors que le Québec souffre encore des conséquences de la
Grande Dépression. Florentine Lacasse, une jeune femme de 19 ans qui aide
ses parents à subsister en travaillant comme serveuse au restaurant et qui rêve
d’une vie meilleure, se fait inviter au cinéma par un client, Jean Lévesque. Elle
se laisse charmer, mais Jean Lévesque, ambitieux et jaloux de son indépendance,