CANADIAN LANDSCAPES/ PAYSAGES CANADIENS
J'aimais cette effervescence, la voix plus haute des hommes. Lodeur de la terre mélée
à celle des chasseurs. Puis un jour, pas longtemps après avoir adopté Dan, ça ne
m'avait plus rien dit. Et c'était exactement comme quand vous perdez le désir pour
une femme. C’est le même corps, les mêmes seins, la même odeur, mais vous ne
sentez plus rien. Il arrive même que vous ayez une vague nausée. C’est ce que j'avais
ressenti. J'avais vendu le Beaver [son hydravion], laissé mon bureau de dentiste et
ma clientèle à une Vietnamienne. J'avais rénové le chalet et je m'étais installé ici
(Tremblay, L’habitude des bêtes 27-28).
Pour Mina aussi, cela a été du jour au lendemain: Mina disait que, plus jeune,
elle avait aimé cette fébrilité [de la préparation de la chasse]. Puis un jour, elle
ne sait pas pourquoi, elle avait pris son camion pour aller en ville faire des
provisions en vue de préparer la saison, et elle était revenue sans avoir rien
acheté. Elle avait écrit « Fermé pour la vie » sur un vieux carton et avait aban¬
donné la roulotte (Tremblay, L’habitude des bêtes 61).
Le narrateur est donc plus sous l'emprise du délire de la chasse, a travers la
narration de cet étranger venu de Montréal, on assiste à une lente défaite des
structures qui tiennent l’ordre du village. C’est un roman qui se termine avec
l'espoir du changement: «J’allais mourir tranquille » (Tremblay, L’habitude
des bêtes 164). C’est une sorte de dénouement heureux en écho à la désespé¬
rance de La héronnière.
Le narrateur découvre le vrai rapport avec la nature, et non pas celui abusif
du village et de la chasse. Ou même celui des écotouristes ou ornithologues
qui ne font que visiter le village et traitent la nature comme objet d'émerveillement
et de beauté. C’est la compréhension des vraies lois de la nature, les loups, les
bêtes, la mort, qui en fin de compte apportent avec soi la paix pour le narrateur
et Mina. Ceux-ci réussissent à accepter l’arrivée incontournable de leur propre
fin.
Au début de notre article nous avons posé la question à savoir «Comment
parler des paysages littéraires? ». Ce qui nous semblerait plus pertinent à présent
ce serait de demander «Comment parler de la nature dans la littérature? ».
Dans une époque où la crise climatique nous hante de plus en plus et que
l’inaction est de moins en moins une option, la littérature peut-elle se permet¬
tre de ne pas être engagée? À présent, à force de devoir regarder en avant, nous
ne pouvons pas nous empêcher de revisiter l'idéologie de la littérature engagée.
Avec le retour du référent, revient la responsabilité des écrivains. Par le biais
de la littérature, nous découvrons notre propre monde qui déclenche — nous
espérons — un changement positif dans le lecteur. Cependant, est-ce cela assez
pour voir le changement politique et sociétale nécessaire afin d'éviter les plus