mal de place au village» (33). Et sinon, il y a les mensonges pour cacher la
vérité: «la seule régle du village était le mensonge. Tout le monde sait tout et
tout le monde fait semblant de l’ignorer » (77) — affirme la narratrice de «La
beauté de Jeanne Moreau ».
Ceux les plus sensibles de cette société sont à la fuite: les femmes quittent
le village et les animaux sont chassés; ou, à cause de leur vulnérabilité, attrapent
le «cancer du village ». Le narrateur dans « Le dernier couronnement, » nouvelle
clôturant La héronnière se lamente ainsi sur la maladie de sa femme: «La nuit,
si je ne dors pas, je me lève et me remets à mon travail. Il n’y a que cela pour
m'empêcher de penser à la catastrophe qu'a été ma vie depuis que je suis reve¬
nu au village. Je n'arrive pas à m'enlever de la tête que c’est lui le responsable
du cancer d’Aline. Elle a attrapé le cancer du village» (98-99). Ajoutons ici que
Dan, le chien du narrateur de L'habitude des bêtes meurt, lui aussi, d’un can¬
cer. Cela ne semble pas être qu’une simple coïncidence.
L'image de ce cancer, le cancer du village, ne cesse d'apporter un certain
malaise dans cet environnement. Elle nous hante. Cette amertume qui ressort
des paroles du narrateur de la nouvelle, personnage médiateur entre le village
et les étrangers, a été le déclencheur de nos recherches qui visent à comprendre
comment cette métaphore représente les forces néfastes sous-jacentes à l’ordre
du village.
C’est comme si le village décrit dans les nouvelles et le roman, ne pourrait
qu'être toxique, venimeux, mortel. La stabilité tant désirée vient à un prix, tous
ceux qui la menacent doivent subir des conséquences: « Tu t’habitues ou tu
t’en vas » (34), ou tu meurs. En s’apprétant à se battre contre tous changements,
le village est attaqué de l’intérieur par sa propre pourriture. Le cancer nous
rappel l’inévitable sort de tout être vivant. La mort est dans l’ordre de la nature
et même si le village se veut de l’ordre de la culture avec ses structures sociales,
il ne peut que se superposer sur les espaces naturels puisque l’homme relève
à la fois de la nature et de la culture.
C’est dans cet ordre du village que s’inscrit l’histoire de L’habitude des bétes,
roman publié 14 ans apres la publication de La héronniére. Cependant, au fur
et à mesure qu'on avance dans la narration, nous constatons que le narrateur,
au lieu de rester figé dans le regard exogène d’un étranger venu s'établir dans
le village il y a quelques dizaines d'années, ne va plus se soumettre aux lois du
village, mais va comprendre à l’aide de son chien une vérité plus profonde, celle
liée aux lois de la nature pour enfin pouvoir affronter la mort en toute paix.
C'est l’histoire du déplacement graduel du narrateur d’un être social vers un
être naturel. Pour comprendre ce changement, nous adoptons un point de vue