Les deux premiers points de vue font ressortir plusieurs oppositions: rural/ urbain,
homme/ femme, manuel/ intellectuel. Le retraité, troisième point de vue, — parce
qu’il embrasse à la fois le village et la ville, parce que son destin l'amène à compren¬
dre sa femme après sa mort, parce que, manuel, il s'engage dans un travail intel¬
Par ces multiples regards se dévoile le vrai protagoniste du recueil qui est non
pas une personne, mais un lieu: le village lui-même avec tous ses habitants.
Peu à peu, en lisant les nouvelles, se dévoile l'univers d’un village sans nom
avec ses lois qui régissent les interactions de ses habitants. Parmi ces lois, nous
soulignons le secret, le mensonge, la honte et la peur des étrangers.
Dans le dossier de la revue Voix et Images consacré à Lise Tremblay au
printemps-été de 2020, on trouve des analyses profondes de plusieurs de ses
œuvres. Nous notons quelques éléments importants portant sur le village de
Tremblay d’après les articles «La perturbation» de Francis Langevin et «Le
conflit des codes et des classes dans La héronnière et La sœur de Judith de Lise
Tremblay» de Martine-Emmanuelle Lapointe en y ajoutant nos propres ob¬
servations.
Dès la première nouvelle, nous découvrons cette étrange dynamique entre
les villageois et les étrangers. Ces étrangers peuvent être des simples écotouristes
intéressés par la nature, des ornithologues arrivés pour le Symposium, des
chasseurs ou des personnes de la ville qui viennent pour passer l'été dans leur
chalet. Peu importe de quel étranger il s’agit, ils sont tous perçus comme l’
«Autre» par les villageois, même si les chasseurs semblent le mieux intégrés
dans l’ordre du village, les mieux acceptés et tolérés par les villageois. Les étrang¬
ers sont la clé pour la survie du village, alors on aime bien l'argent que cela ap¬
porte à son économie, mais il reste une certaine méfiance envers eux. Ce sont
des éléments perturbateurs qui sont là pour déstabiliser l’ordre du village.
Ce village se trouve à la frontière de nature et société — au Bas-du-Fleuve
dans La héronnière et au Saguenay dans L’habitude des bêtes. C’est un espace
liminal qui, par pur désir de survie, est en constant conflit avec les changements
qu’apportent les éléments extérieurs, les étrangers, mais aussi les animaux (les
bêtes) et les femmes.
Niant sa nature changeante — entre un passé idyllique et un avenir incertain
— le village affirme son identité en créant des forces centripètes qui tendent
vers le centre, le pareil, l'uniforme — comme l'appareil d’État chez Deleuze-Guat¬
tari, ou méme le centre dans la sémiosphére de Youri Lotman — et qui engendrent