PAYSAGES (POST-)APOCALYPTIQUES DANS LA TRILOGIE DE CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN
un espace qui a son côté mythique celui d’un lieu de secrets et d’un univers de
la disparition et déperdition. Comme le dit l’auteur lui-même:
Il y a quelque chose de l'imaginaire lié à la forêt, à la fois dynamique et mythique,
qui est à la fois épeurant et salvateur. C’est un lieu consacré et fuyant, où on re¬
trouve le début et la fin. C’est l’espace total. Pour moi, la forêt, c’est le centre du
monde, ça allait de soi. C’est le catalyseur de tension narrative par excellence, et ça
faisait longtemps que je voulais écrire un roman forestier, dira-t-il. C’est le lieu des
émerveillements et des craintes, un lieu de fascination (Desmeules).
La forêt représente dans le livre un lieu où l’homme se rend compte de son
être à travers la nature qui détermine et conditionne les limites de ce qu’une
personne peut endurer. Vers la fin du roman, après avoir quitté le campement
de chasse, le mécanicien et Olio sont rendus au stade ultime de leur voyage
vers la côte où ils croient retrouver une humanité qui se sert de l'électricité
des éoliens, voilà une promesse de renouveau. Comme le dit Jean-Michel
Durafour: «[...]: la pensée de la fin du monde, qu'on y succombe ou qu'on
parvienne à la surmonter, n'existe paradoxalement pas sans l'espoir, [...]. [...]
revenir à un état antérieur d'équilibre [...]» (11).
Constatons, pour conclure, que Christian Guay-Poliquin fait usage de stéréo¬
types de la nature hostile pour démontrer son omnipotence, dont ses héros
sont les victimes, ce qui ressemble à la conception de la survivance d’Atwood,
pour qui la sensibilité canadienne se définirait par rapport au statut de victime
qui doit lutter contre cet état. Présent dans les trois romans de Guay-Poliquin,
le thème tragique de la solitude et de la terreur de la nature après une panne
d'électricité qui menace la survie des personnages puise largement dans le fond
thématique qui explique le traitement canadien, ici québécois, de l'imaginaire
de la fin qui y est décrit. Avec ses clichés tenaces de la littérature québécoise
et ses images privilégiées — la neige, voire l'hiver, la forêt et la nature sauvage
—, le topos littéraire de l’hivernité, donc de la nordicité comme telle, accentue
la solitude effrayante des personnages au milieu de la nature sauvage d’un pays
si vaste.
Le Poids de la neige présente ainsi une réappropriation et une quête du Moi
par le narrateur. À travers de nombreuses péripéties, ce dernier cesse d’être
une victime, et même s’il est de nouveau seul, il parvient à vaincre cet état et
son statut d’'échoué. Quant à l’esprit de garnison, le village représente un endroit
où l’on peut survivre malgré, ou grâce à, l'isolement au milieu d’un paysage
hostile qui le protège contre le chaos qui règne dans les villes. Néanmoins, ce