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CANADIAN LANDSCAPES/ PAYSAGES CANADIENS branchées a des électrodes gui projettent dans leurs cerveaux d’extraordinaires aventures virtuelles, tandis que les employés moins chanceux travaillent a leur service, les entretiennent, lavent leurs corps et les débranchent au moment ou le paiement du forfait arrive 4 son terme. Avec un mélange d’humour et de cynisme désespéré, la narratrice posthumaine au corps touché par des radiations résume: Nous sommes quelques centaines de milliers 4 prendre soin des millions de branches. Plus personne ne se soucie de nous. Les lois, l’argent, le bonheur et les préoccupations sont maintenant dans un univers qui nous échappe. Le saccage, les inondations, les incendies, plus rien n’a d’importance ici. Les services sont minimaux: nous sommes de la grenaille, une nuisance, une arriére-pensée désagréable. Nul ne veut entendre parler de nous, de la planète, de la qualité de l’eau, de l’air, du sol, de la nourriture qu'on mange et de celle qu’on dépose à l’intérieur de leur estomac avec un tube de gavage. Leur monde a éliminé la souffrance, la culpabilité, l’incertitude (Kurtness, «Les saucisses » 153). Malgré sa tonalité dystopique plus familière au lecteur, la nouvelle, une fois de plus, met en scéne une apocalypse que les neuf dixièmes de l'humanité n’ont pas tout simplement remarquée (ou qu'ils refusent de prendre en considération), puisqu'elle s’est déroulée seulement dans le monde physique où les élites n'ont plus l'habitude de séjourner mentalement. LE CADRE THÉORIQUE CONTEMPORAIN Il nous semble important de mettre en parallèle les apocalypses esquissées par cette auteure innue, à la fois discrètes et dépourvues de la catharsis hollywoodienne, avec la réflexion d’un certain nombre de théoriciens contemporains qui travaillent sur les esthétiques du post-Anthropocène. En 2000, le botaniste américain Eugene F. Stoermer et le Prix Nobel de chimie néerlandais Paul Josef Crutzen ont pour la première fois évoqué le terme d'anthropocène. Il s’agit d’une nouvelle phase géologique dont la révolution industrielle du 19° siècle serait le déclencheur principal et qui est caractérisée par la capacité de l’homme à transformer l’ensemble du système terrestre. Autrement dit, l’'Anthropocène est l’âge des humains, une période de temps au cours de laquelle homo sapiens s'avère la principale force de changement sur Terre, surpassant de loin tous les facteurs géophysiques. Les désordres générés par cette suprématie humaine ont aujourd’hui de multiples conséquences: changement climatique, disparition des espèces, insécurité alimentaire, raréfaction des ressources vitales, migrations forcées et soudaines, précarité énergétique, etc. + 20 +