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LES PAYSAGES DE J. D. KURTNESS: POLEMIQUE AVEC LES APOCALYPSES D’ HOLLYWOOD scientifique 4 errer en pleine mer polaire dans une sorte d’arche de Noé contemporaine. La brillante biologiste du bord s’abandonne alors à des souvenirsrêveries de son histoire personnelle, de ses ancêtres autochtones et de leurs périples dans les nuits glacées du Québec. Deux changements frappent par rapport au roman précédent. Tout d’abord une proportion fortement réduite de l’espace accordé à des héros humains. Dans l’économie du récit, tout comme dans le monde apocalyptique que ce dernier met en place, la scientifique coincée sur le bateau ne s'avère pas plus importante qu’une vieille baleine orpheline qui a survécu à l’hécatombe des siens. Les angoisses et les espoirs humains ne sont nullement considérés comme supérieurs à la détresse des animaux et, à titre d'exemple, une relation mèrebaleineau n’a rien à envier à l’intensité des rapports familiaux chez les hommes: Le cordon cède et le placenta entame une lente dérive dans un nuage de sang. Le baleineau prend sa première inspiration. L'air glacial lui ouvre les poumons. Le choc est brutal. Sa mère est là, avec son lait tiède et ses caresses. Tantes et cousines nagent autour du nouveau-né, excitées par l'événement et les risques qui l’accompagnent. Chaque naissance est un moment de triomphe et d'inquiétude pour ces femelles. Heureusement, les meutes d’orques sont encore loin (Kurtness, Aquariums 25). Le deuxième phénomène déconcertant consiste dans la discrétion de l’apocalypse. Aucune boule de feu n’éclaire le paysage kurtnessien, pas de lacs de soufre non plus, même pas une fusillade écoterroriste comme dans le roman précédent. Juste un effacement progressif de la distinction homme/animal et l’enfoncement de la planète entière dans des eaux troubles qui rappellent tant le liquide amniotique qu'une solution de laboratoire. Cette fin du monde - si mise en valeur dans la production littéraire et cinématographique contemporaine -, on risquerait presque de ne pas s’en apercevoir. Elle a peut-être déjà eu lieu. Le second roman de Julie D. Kurtness rappelle étrangement les théories du philosophe autrichien Günther Anders, le premier époux d’Hannah Arendt et un grand théoricien des destructions de l’humanité, qui caractérise certaines productions littéraires contemporaines comme des apocalypses sans royaume. Le Noé post-moderne qu'Anders a imaginé comme son porte-parole prophetise ainsi: «[a]près-demain, le déluge sera quelque chose qui aura été. Et, quand le déluge aura été, tout ce qui est n'aura jamais existé. Quand le déluge aura emporté tout ce qui est, tout ce qui aura été, il sera trop tard pour se souvenir, car il n’y aura plus personne» (Anders). La dernière nouvelle de Julie D. Kurtness que nous voudrions mentionner ici, «Les saucisses », relève d’un imaginaire dystopique plus traditionnel, puisque l'auteure l’a rédigée sur commande et elle devait se conformer aux règles du genre. Le récit se déroule dans un univers post-apocalyptique où les personnes plus fortunées paient cher pour être vingt-quatre heures sur vingt-quatre s 19 c