CANADIAN LANDSCAPES/ PAYSAGES CANADIENS
Jouvre les yeux sur la tache laiteuse de notre galaxie. Des étoiles scintillent a un
rythme irrégulier. Des lucioles prennent le redoux pour le printemps. Un signal
imperceptible, un indice subtil de l’arrivée de l’aurore, et la forét entonne son con¬
cert matinal. Des centaines de chants d’oiseaux sélévent vers le firmament, une
célébration dont seule la nature a le secret (Kurtness, De vengeance 156).
Une fois débarrassée des hommes, la nature semble soulagée et en quelque
sorte délivrée, vengée par la jeune serial killer qui l’a enfin rejointe après des
dizaines d'années d’errances au sein d’une civilisation techniciste et hostile à
l'environnement.
Certes, tout au long du livre, Julie D. Kurtness fait jouer son ironie habituelle,
de sorte que le lecteur hésite entre une vague sympathie pour la protagoniste
misanthrope, d’une part, et une certaine inquiétude face a l’approfondissement
de ses penchants morbides, de l’autre. Or, au moment où la jeune fille bute les
visiteurs bruyants de la forêt, afin que cette dernière puisse végéter en paix,
une question plus sérieuse se pose: qui sommes-nous pour troubler la quiétude
de cette nature qui a été 1a des millions d’années avant notre brève apparition
sur la Terre?
Dans une entrevue accordée, il y a quelques mois, au Salon du livre des
Premières Nations, Julie D. Kurtness s’est laissé aller à la réflexion suivante:
Moi, j'ai très peu foi en l’humanité. Je pense que l’humanité a ses qualités, puis sa
beauté intrinsèque, mais pas plus que tout le reste. Je pense qu'on est juste une partie
du cosmique. [...] Notre histoire est récente, puis je pense qu’on va s’auto-annihiler
bientôt. On va être juste un battement de paupières dans les grands cycles de notre
système solaire. [...] Je ne m'en fais pas trop du sort de la race humaine. Tant pis
pour nous (Salon du livre).
Le début du roman semble renforcer une telle lecture apocalyptique, puisque
la narratrice s’y adresse au lecteur modèle qu’elle imagine comme un être post¬
humain:
Tu es une créature du futur, puisque le moment présent est déjà terminé. Je t’appelle
créature, car les hommes et les femmes sont des catégories qui pourraient disparai¬
tre, comme la théorie des humeurs. Es-tu un amas de graisse? Es-tu un encéphale
dans une jarre? Peut-être que mon texte a été converti en impulsions électriques,
prédigérées pour un cerveau seul, sans organes, qui flotte dans un liquide nutritif
et conducteur. Es-tu une machine? Es-tu un enfant? [...] Es-tu un réfugié interga¬
lactique? (Kurtness, De vengeance 12-13).
Cette logique post-humaine s'accentue encore davantage dans Aquariums, le
second roman de l'auteure. Une pandémie y condamne une expédition