du mouvement et de l’immobilité. Ce vrai lieu est l’Orangerie, qui apparaît dans
L'Ordalie (comme la maison natale d'Anne, ou la chambre d’Igitur) aussi bien
que dans Du mouvement et de l’immobilité de Douve où « Le soleil tournera, de
sa vive agonie/Illuminant le lieu où tout fut dévoilé » («Vérité » dans le cycle
« LOrangerie » que préfigurait L’Ordalie). Mais ce lieu est aussi celui des voyages,
Ravenne, par exemple, l’ordalie decide de sa veritas, lordalie, cette agonie des
signifiants, cette presque-disparition. Mallarmé définit dans Crise de vers l'esprit
du poète comme «un centre de suspens vibratoire », où par le logos négateur, la
chose entre dans «sa presque disparition vibratoire », « pour qu’en émane, sans
la gêne d’un riche ou concret appel, la notion pure ». Le thème de la poésie pure,
développé dans les années 1920 à partir d’une expression d'Edgar Poe, reprise
par Baudelaire, Mallarmé, puis Valéry, vient justement du refus du récit, de la
littérature représentative, dont la base est l’essentialisme platonicien: il faut
dévoiler l'essence, l’Idée même de la poésie, et la poésie doit émerger du sensible
dont elle est entachée. C’est pourquoi Mallarmé se félicite, dans la préface au
Coup de dés, que l’on évite le récit. Yves Bonnefoy, même dans son opposition,
maintient cette dialectique et construit dessus pour retrouver la parole dans sa
dimension la plus élémentaire et authentique avec le monde sensible jadis détrô¬
né. Forme et non-formel se tendent dans le «théâtre » du décasyllabe, du vers
de onze syllabes, brisant l’alexandrin, ou bien sous la forme de vers libres et de
poèmes en prose. Le cycle « Théâtre » dans Douve, inspiré de Shakespeare, crée
la présence éphémère d’une voix et d’une figure féminine relevant des eaux té¬
nébreuses de l’inconscient, d’une « présence exacte », « vivante de ce sang qui
renaît et s’accroît où se déchire le poème », lisons-nous dans le texte XVIII. Dans
ce hic et nunc du théâtre de l’irrationnel, l'acte est à la fois un acte concret et un
acte imaginaire, comme l’espace-temps est à la fois réel etimaginaire. C’est cette
duplicité, ce paradoxe fondamental que le théâtre donne à voir, et qui ne sont
jamais représentés dans la poésie, qui ne sautent pas tout de suite aux yeux du
lecteur, mais qui se produisent lors de chaque acte d'écriture. C’est un théâtre
anti-platonicien dans le sens où l’Idée est la relation qui unit tous les éléments
entre eux: si l’on veut, elle est aussi bien leur «soi », ou leur présence à soi à
travers le regard du lecteur. Il nous semble que ce théâtre du papier est devenu
un lieu de la mise en scène du penser, l’ordalie du penser poétique.
Or, l’image poétique, en tant qu’illusoire, définit, aux yeux des Grecs, comme
le constate Jean-Pierre Vernant”, la nature du miithos, une fiction, qu'ils opposent