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ILDIKÓ LŐRINSZKY

chevet ou son c Virgile s, comme il a l’habitude de le dire’®. L'héritage du père
marquera l’œuvre du fils dans laquelle le monde bucolique et païen côtoie le
monde chrétien. Le père ressent une affinité particulière pour son homonyme
lointain, évoqué tantôt comme « Jean de Patmos », tantôt comme « fils de Zébé¬
dée », dont il discute volontiers les prophéties. La conversation entre le père et
son fils se déroule par une nuit d'été torride, sous un ciel étoilé. Ils s’adonnent
souvent à ces discussions nocturnes: fuyant leur chambre trop humide qui em¬
pêche le sommeil, ils s'installent régulièrement sur le toit de la maison voisine.
L’incipit du texte fait frissonner le lecteur:

« Tu entendras parler de bien d’autres guerres, dit mon père, de l’entrecho¬
quement des nations, de tremblements de terre et de famines; ta vue sera
brouillée de mille éclipses plus horribles les unes que les autres, l’éclipse de
la lumière étant la plus douce d’entre elles. Les cieux ne se replieront pas, ils
se recroquevilleront ; on pensera à l’absinthe comme à du sucre; les surfaces
planes de la terre s’effondreront sous tes pieds en escaliers qui iront se repo¬
ser dans les brouillards des abîmes [...]!.»

Les passages à résonance biblique sont des pastiches amalgamant divers
endroits de l’Ancien et du Nouveau Testament’.

La réflexion du père tourne autour du quatrième cavalier évoqué par Jean,
fils de Zébédée : le cavalier vert (ou livide), symbole de la mort. Selon le père, la
mort ne peut pas figurer dans une vision apocalyptique. L’Apocalypse n’est pas
la mort, mais «l’ensemble des événements qui font désirer la mort.» Les
développements du père abordent des sujets variés et donnent l’impression d’une
conversation à bâtons rompus dont il n’est pas toujours facile de suivre la logique.
Cependant, si nous relisons ses propos de façon attentive, nous y découvrons un
désir continu d'expliquer l'abstrait par le concret, et de montrer l’analogie profonde
entre l’infiniment petit et l’infiniment grand”.

Le père invite le fils à contempler l’immensité du ciel qui s’étend au-dessus de

15° Jean Giono, Le grand théâtre. In Le Déserteur et autres récits. Paris, Gallimard, « Folio », 2002, p. 271.
16 Ibidem, p. 241.

7° Sur la réécriture des passages bibliques, V. Norma L. Goodrich, Giono. Master of fictional modes.
Princeton, Princeton University Press, 1973, pp. 41-45.

18 Jean Giono, Le grand théâtre. Ed. cit., p. 246.

9 Cette idee apparait a plusieurs reprises chez Giono sous formes d’images suggestives. Dans Le
chant du monde (écrit en 1933), Toussaint, le guérisseur montre qu’une pierre examinée a la loupe
reproduit par ses lichens des « mers, des fleuves, des océans avec leur couleur et leur forme ». (Œuvres
romanesques complètes, tome 2. Paris, Gallimard, « Pléiade », 1972, pp. 307-308.) V. Marcel Neveu,
Giono ou le bonheur d'écrire. Monaco, Éd. du Rocher, 1990, p. 241. Dans un essai sur la pierre datant
de 1955, Giono remarque: [La Terre ?] «une énorme pierre du ciel, somme toute ». Jean Giono, La
pierre. In Le Déserteur et autres récits. Éd. cit., p. 121.

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