Giono contemplateur du ciel:
du Serpent d’étoiles au Grand théatre
Cet article se propose de présenter deux textes de Giono écrits à plus de trente
ans de distance: le Serpent d'étoiles, conçu en 1930, et Le grand théâtre, rédigé
en 1961. Ces textes sont rarement cités par la critique, et n’ont pas de relation
directe entre eux. Cependant, en les relisant de façon attentive, nous y décelons
une certaine ressemblance, et même une sorte de continuité. Tous les deux re¬
prennent une image récurrente chez l'écrivain qui place volontiers ses personnages
sur un point d'altitude, en contact direct avec le ciel. Tous les deux se déploient
dans la nuit, sous un ciel étoilé, incitant à une réflexion sur la place de l’homme
dans l’univers.
Les deux textes présentent également des similitudes formelles. D’une part, il
s'agit de récits relativement courts qui entrent dans la catégorie de l’«autofiction »:
la narration se fait à la première personne du singulier, auteur et narrateur sont
identiques, et l’histoire racontée est présentée comme une expérience vécue. D'autre
part, la prose s'enrichit dans les deux cas d'éléments dramatiques. Si dans le Serpent
d'étoiles, nous assistons à une véritable mise en scène, Le grand théätre peut être
considéré comme un long monologue entrecoupé de quelques phrases de transition,
et complété d’un fragment d'essai. De même, l'effet dramatique est renforcé par
un début in medias res qui nous plonge directement au cœur de l’action.
« Tout est venu de Césaire Escoffer - dit l’incipit du Serpent d'étoiles. - Tout
est venu de ce jour de mai: le ciel était lisse comme une pierre de lavoir; le
mistral y écrasait du bleu à pleine main; le soleil giclait de tous les côtés ; les
choses n'avaient plus d'ombre, le mystère était là, contre la peau; ce vent de
perdition arrachait les mots aux lévres et les emportait dans les autres
mondes!, »
Nous voici tout d’un coup en plein milieu d’un univers sensuel, entourés de
l'aura du merveilleux. Le Serpent d'étoiles est probablement la manifestation la
1 Jean Giono, Le Serpent détoiles. Paris, Bernard Grasset [1933], Le Livre de Poche, 1972, p. 9. Pour
les citations du texte, nous nous référerons à cette édition.