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ANIKÓ RADVÁNSZKY de remplacer la notion du signe par celle de la trace". Paralléle gui rend la corrélation du signe et de la trace, telle que Lévinas l’amorce, encore plus interessante: « La trace n’est pas un signe comme un autre. Mais elle joue aussi le rôle de signe. Elle peut être prise pour un signe. Le détective examine comme signe révélateur tout ce qui marque, sur les lieux du crime, l’œuvre volontaire ou involontaire du criminel [...]. Tout se range en un ordre, en un monde, où chaque chose révèle l’autre ou se révèle en fonction d’elle. Mais ainsi prise pour un signe, la trace a encore ceci d’exceptionnel par rapport aux autres signes : elle signifie en dehors de toute intention de faire signe et en dehors de tout projet dont elle serait la visée. Quand, dans les transactions, on ”’règle par chèque” pour que le paiement laisse une trace, la trace s'inscrit dans l’ordre même du monde. La trace authentique, par contre, dérange l’ordre du monde. Elle vient ”’en surimpression”. Sa signifiance originelle se dessine dans l’empreinte que laisse celui qui a voulu effacer ses traces dans le souci d'accomplir un crime parfait, par exemple. Celui qui a laissé des traces en effaçant ses traces, n’a rien voulu dire, ni faire par les traces qu’il laisse. Il a dérangé l’ordre d’une façon irréparable. Car il a absolument passé. Être en tant que laisser une trace c’est passer, partir, s’absoudre!$. » Déjà la dimension spatio-temporelle, c'est-à-dire l'« étendue » de la trace nous rend évident que cette dernière ne peut être ni révélée ni saisie, car en réalité, et sans aucune intentionnalité, elle n’est pas la constitution d’un sujet. L'empreinte digitale citée comme exemple peut se définir comme un signe dans lequel c’est justement son caractère de signe qui se met en question, parce que si elle remplit sa fonction, elle ne se réfère à rien ou, plus précisément, elle ne fait que mettre en évidence la volonté d'effacer toute trace du crime accompli et, dans un sens particulier, un passé qui jamais ne fut présent ou un signe qui n’a jamais eu valeur de signe. En effet, la trace est à double sens: la trace effacée et celle qui se crée au cours de l'effacement (qui ne se réfère jamais à ce qui est définitivement effacé mais uniquement à l’acte de l'effacement) se « collent » l’une contre l’autre et se couvrent. Pourquoi cet exemple si simple est-il aussi révélateur ? Parce qu’il met en évidence que par l'acte de l'effacement, la trace effacée dans la trace s'inscrit 15° Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure ici de faire une analyse approfondie des parallèles de la réception des notions de la trace lévinassienne et derridienne. Nous devons donc nous contenter de citer le titre de l'ouvrage qui les expose en détail: Robert Bernasconi, The trace of Levinas in Derrida. In David Wood, Robert Bernasconi (dir.), Derrida and Différance. Evanston, Northwestern University Press, 1988, pp. 13-31. ; Alain Beaulieu, « La dette calculée de Derrida envers Lévinas ». In Studia Phaenomenologica 6 : 189-200. 16 Lévinas, La signification et le sens. Op. cit., p. 66. * 162 +