de remplacer la notion du signe par celle de la trace". Paralléle gui rend la
corrélation du signe et de la trace, telle que Lévinas l’amorce, encore plus
interessante:
« La trace n’est pas un signe comme un autre. Mais elle joue aussi le rôle de
signe. Elle peut être prise pour un signe. Le détective examine comme signe
révélateur tout ce qui marque, sur les lieux du crime, l’œuvre volontaire ou
involontaire du criminel [...]. Tout se range en un ordre, en un monde, où
chaque chose révèle l’autre ou se révèle en fonction d’elle. Mais ainsi prise
pour un signe, la trace a encore ceci d’exceptionnel par rapport aux autres
signes : elle signifie en dehors de toute intention de faire signe et en dehors
de tout projet dont elle serait la visée. Quand, dans les transactions, on ”’règle
par chèque” pour que le paiement laisse une trace, la trace s'inscrit dans l’ordre
même du monde. La trace authentique, par contre, dérange l’ordre du monde.
Elle vient ”’en surimpression”. Sa signifiance originelle se dessine dans l’em¬
preinte que laisse celui qui a voulu effacer ses traces dans le souci d'accomplir
un crime parfait, par exemple. Celui qui a laissé des traces en effaçant ses
traces, n’a rien voulu dire, ni faire par les traces qu’il laisse. Il a dérangé l’ordre
d’une façon irréparable. Car il a absolument passé. Être en tant que laisser
une trace c’est passer, partir, s’absoudre!$. »
Déjà la dimension spatio-temporelle, c'est-à-dire l'« étendue » de la trace nous
rend évident que cette dernière ne peut être ni révélée ni saisie, car en réalité, et
sans aucune intentionnalité, elle n’est pas la constitution d’un sujet. L'empreinte
digitale citée comme exemple peut se définir comme un signe dans lequel c’est
justement son caractère de signe qui se met en question, parce que si elle remplit
sa fonction, elle ne se réfère à rien ou, plus précisément, elle ne fait que mettre
en évidence la volonté d'effacer toute trace du crime accompli et, dans un sens
particulier, un passé qui jamais ne fut présent ou un signe qui n’a jamais eu valeur
de signe. En effet, la trace est à double sens: la trace effacée et celle qui se crée
au cours de l'effacement (qui ne se réfère jamais à ce qui est définitivement effacé
mais uniquement à l’acte de l'effacement) se « collent » l’une contre l’autre et se
couvrent. Pourquoi cet exemple si simple est-il aussi révélateur ? Parce qu’il met
en évidence que par l'acte de l'effacement, la trace effacée dans la trace s'inscrit
15° Malheureusement, nous ne sommes pas en mesure ici de faire une analyse approfondie des
parallèles de la réception des notions de la trace lévinassienne et derridienne. Nous devons donc nous
contenter de citer le titre de l'ouvrage qui les expose en détail: Robert Bernasconi, The trace of Levinas
in Derrida. In David Wood, Robert Bernasconi (dir.), Derrida and Différance. Evanston, Northwestern
University Press, 1988, pp. 13-31. ; Alain Beaulieu, « La dette calculée de Derrida envers Lévinas ».
In Studia Phaenomenologica 6 : 189-200.
16 Lévinas, La signification et le sens. Op. cit., p. 66.