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ANIKÓ RADVÁNSZKY même temps, malgré tout ce qui vient d’être dit, un problème demeure : comment entrer en relation avec l’Autre sans se le représenter ? Comment entrer en relation avec l’Autre sans forme ni représentation ? Comment interpréter la manifestation d’un visage par-delà la forme, comment comprendre l'expression dont l’exprimé coïncide avec celui qui l’exprime ? Quel langage est capable d'exprimer et de transmettre l’altérité radicale de l'infini ? Or, pour ne pas aller plus loin que d’affronter le plus simple des dilemmes esquissés jusqu’ici, des que l’Autre est reconnu comme autre moi, il perd son altérité absolue. Suivant la réflexion de Lévinas, nous pouvons facilement avoir l’impression de tourner en rond. Ce n’est pas par hasard si c’est justement sur ce point-là que Derrida, l’un des détracteurs les plus influents de la Totalité et infini, formule des objections bien aiguisées : « Levinas parle en fait de l’infiniment autre, mais, en refusant d'y reconnaître une modification intentionnelle de l’ego — ce qui serait pour lui un acte totalitaire et violent — il se prive du fondement même et de la possiblilité de son propre langage. Qu'est-ce qui l’autorise à dire «infiniment autre » si l’infiniment autre n'apparaît pas comme tel dans cette zone qu’il appelle le même“? » Pourtant, la possibilité de l'expérience décrite par Lévinas ne peut être mise en doute, il paraît seulement nécessaire d’en reconsidérer les conditions langagières. L’'ambiguïté résidant à la base de la logique de l’expression est bien manifeste. L'expression pure est présupposée comme étant une génératrice de sens radicalement différente de moi d’une part et, d'autre part, par le fait de la coïncidence de l'exprimé et de celui qui l’exprime, elle se fixe dans l'immédiat, ce qui semble démentir son hétérogénéité et son altérité. Autrement dit : la parole définie comme pure production de sens ainsi que l’absolutisation de la révélation de l'existence en tant que telle, semblent mettre en doute l'expression réelle qui conteste elle-même théoriquement l'identification. Malgré tout, le rôle que l’Infini joue dans cette première grande œuvre du point de vue de la signifiance reste révélatrice. C’est grâce 4 cette notion que Lévinas réussit à mettre en évidence la problématique de l’Autre irréductible au Moi, ainsi que celle de l’extériorité qui n’a rien à voir avec la conscience. A l’aide de ce concept, il arrive à prouver la nécessité d’une nouvelle approche du langage selon laquelle ce n’est pas par l'intention spéciale lui attribuée que la parole se voit revêtir de sens comme Husserl l’a préconisé dans ses Recherches logiques (Recherche II). Pour Lévinas, l’Infini comprend la possibilité de rompre 4 Jacques Derrida, Violence et métaphysique. In J. Derrida, L'écriture et la différence. Paris, Seuil, 1967, p.183. + 154 +