est complètement différent ne peut réellement être autre que si sa différence du
même est infinie, c'est-à-dire, s’il est en rapport avec la notion de l'infini.
La véritable réflexion respecte l’altérité inconcevable et radicale de l’Autre.
Sans aucun doute, Lévinas nous conduit à faire face à l’une des plus grandes
difficultés de la pensée. Ceci est d'autant plus évident qu’en suivant sa réflexion
nous comprenons que lorsque nous pensons l’Autre tel une source de sens
indépendant de nous, autonome et finale, nous devons en même temps penser
l'infini. Il n’est donc étonnant que, pour interroger l'infini, nous soyons tentés
de nous éloigner de la philosophie et nous tourner plutôt vers des expériences
mystiques, religieuses ou même artistiques. Or, sur ce chemin d'exploration, le
philosophe — et, comme nous allons le voir plus tard, Lévinas qui s'efforce de
rester dans le domaine de la philosophie, plus précisément dans celui de la
phénoménologie reconsidérée — n’est point épargné d'affronter, tôt ou tard, des
contradictions, même s’il (ou justement parce qu’il) essaie de saisir l’altérité, cette
notion qui nous est infiniment étrangère et inabordable par les moyens de la
pensée, par voie expérimentale, tout d’abord et de manière accentuée dans le
phénomène du visage.
En fait, le visage, ce concept central et aussi le plus connu de la philosophie
de Lévinas, ne peut pas vraiment être considéré comme un concept. « Le visage
est une expérience pure sans concept », une expérience unique dans laquelle le
Même n’incorpore pas l’Autre, étant donné que le visage ne se représente jamais
sous forme objectivée mais se révèle. En partant donc du visage — malgré et
prenant en considération le fait qu’il met toute cette réflexion sous un éclairage
plus humain — la question essentielle qui se pose « dans sa nudité » lorsque nous
essayons de penser l'infini est la suivante : comment est-il possible de faire
l'expérience de quelque chose qui est phénoménologiquement inaccessible ? Et
bien que le visage ne soit pas un concept, Lévinas, au cours de chacune des deux
périodes majeures de son œuvre, cherche à répondre à cette question en élaborant
une théorie éthique hors pair du langage.
Le visage ne peut être saisi que par sa propre révélation qui est censée se
réaliser dans le contexte du langage. Lévinas parle carrément de l'épiphanie du
visage, terme qui ne correspond nullement à la visibilité phénoménale, à l’image,
mais à un discours particulier qu’il appelle «expression». C’est donc cette
expression (ou révélation) qui relie le visage à l’idée de l'infini, et c’est ce lien qui
sera par la suite l’objet d’une investigation plus approfondie. Lévinas définit par
ailleurs le visage comme «la manière dont se présente l'Autre, dépassant l’idée
de l’Autre en moi. s Nous pourrions donc dire — en faisant référence au mot grec
«schéma » qui signifie « figure » — que le visage « schématise » l’idée de l’infini.
C'est le langage, c’est-à-dire la signifiance, cet émergence du sens qui est cet acte