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LE TEMPS COMME FORME DE LA CONTEMPLATION - PERSPECTIVES PHENOMENOLOGIQUES

revolue (ne serait-ce que de quelques secondes), et cet acte de la mémoire ne
constitue déjà plus une donation primaire de l’objet, mais un repositionnement
de la conscience de ce dernier par rapport à l'environnement dont il se détache.
Par environnement il faut entendre une forme de mémoire en réseau qui conserve
les multiples re-présentations plus ou moins achevées dont notre esprit dispose
afin de modéliser (en fonction de ses besoins) les données continûment renouvelées
de la perception. Ces re-présentations interdépendantes constituent la trame de
notre intelligence et agissent comme un prisme pour la perception lorsque celle¬
ci revient sur elle-même dans des actes de re-présentation et d’objectivation
immanente. Si nous reprenons la symbolique utilisée quelques lignes plus haut,
nous pouvons dire que les boucles formées par les actes du ressouvenir à partir
des données de la rétention originelle ont la fonction de re-présenter à la conscience
tel ou tel objet avec un degré croissant de précision, un maximum de détails que
la rétention originelle de l’objet ne rendait pas distinctement. Mais ce retour à
l'objet dans l’acte du ressouvenir ne permet déjà plus de connaître ledit objet
dans sa totalité vivante, incarnée, car entre la perception initiale de la donation
originaire de l’objet et la nouvelle qui s’inscrit dans une image-souvenir (ou re¬
présentation), des informations nouvelles se sont ajoutées, et modifient
nécessairement la perception authentique initiale. Plus des boucles se forment à
partir de la donation originaire de l’objet, plus notre aperception de ce dernier
semble être reportée dans le temps, comme si chaque information nouvelle se
superposant aux re-présentations précédentes révélait les facettes encore
inconnues dudit objet, et par conséquent reportait continûment l’appréhension
de sa forme définitive. La différence entre perception et ressouvenir est ainsi bien
identifiée, il ne s’agit jamais dans le ressouvenir d’une « présence en chair et en
os » (que seule la perception est apte à donner), mais plutôt d’un « passé en chair
et en os" s. Ce qui est posé c’est donc la relation entre perception comme acte
originaire dans la présence et le ressouvenir qui n’est plus un acte originaire de
connaissance de l’objet, mais un acte originaire de redisposition, de réactivation
de l’acte perceptif passé et de ce qui était perçu. Mais cette réactivation de l’acte
perceptif passé n’est jamais isolée, elle s’effectue en relation avec un arrière-plan
(ou réseau, ou encore environnement) constitué des re-présentations passées
conservées par notre mémoire, c’est pourquoi toute re-présentation nouvelle
interagit nécessairement, avec plus ou moins d'intensité, avec les autres plus
anciennes. Le mouvement de retour à soi de la boucle est un repositionnement
de la quantité d'informations qu’elle charrie par rapport à son environnement

5 Edmund Husserl, De la synthèse passive, Section IL: Évidence. Grenoble, Éditions Jérôme Millon,

1998, p. 173.

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