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ESTHETIQUE DE LA CONTEMPLATION DU PAYSAGE ET DES FIGURES DE L'INFINI « Sous les rayons du soleil, les hautes cimes scintillaient et fourmillaient comme des basquines de danseuses [...] d’autres avaient la téte engagée dans les nuages et se fondaient dans le ciel par des transitions insensibles, car rien ne ressemble à une montagne comme un nuage. C’étaient des escarpements, des ondulations, des tons et des formes dont aucun art ne peut donner l’idée, ni la plume ni le pinceau ; les montagnes réalisent tout ce que l’on en rêve; ce qui n’est pas un mince éloge!’. » Le paysage le fascine et il formule toute une série de comparaisons et d'images suggestives pour le rendre: « nous gravissions les croupes naissantes de la chaîne que nous devions traverser; on aurait dit les ruines d’une ville cyclopéenne: d’immenses quartiers de grés affectant des formes architecturales se dressaient de toutes parts et découpaient sur le ciel des silhouettes de Babels fantastiques™. » Le texte réunit tous les éléments des clichés sur l'Espagne. En même temps, l’auteur ne manque pas de prendre l'attitude du voyageur, en contemplant l'infini du paysage, ou plus précisément une série de paysages. Son premier voyage en Espagne a eu lieu en 1840, en compagnie d’un jeune homme collectionneur de curiosités. Les quelques mois qu’ils y passèrent le marqueront définitivement, le pays l’enchante, il est le voyageur enthousiaste et sentimental. Il ressent le bonheur malgré la fatigue et les inconvénients des moyens de transport, des gîtes et des mauvaises expériences culinaires. Le quotidien se joint alors au sublime, car, à chaque étape, Gautier contemple ce qui s’ouvre directement sous ses yeux: non seulement le paysage, mais aussi la beauté des cathédrales, et ceux qui habitent ce pays si fascinant à ses yeux, des hommes et des femmes dont il propose aussi de longues descriptions pittoresques. Dans un extrait, le poète contemple le paysage du haut d’un sommet, mais en même temps il découvre, à un endroit presque inaccessible, une petite fleur. Il va la cueillir malgré les risques d’une chute dans un précipice. « La fantaisie de cueillir une délicieuse fleur rose dont j'ignore l'appellation botanique et qui croit dans les fentes du grès, nous fit monter sur une roche qu'on nous dit être l'endroit ou s’asseyait Philippe II pour regarder à quel point étaient les travaux de l’Escurial!?. » La contemplation de l’horizon infiniment vaste lui rappelle en même temps ce qui est infiniment petit. L'évocation de la petite fleur lui semble aussi importante que la contemplation de l’infini. Il ne peut pas s'empêcher de composer, même 17 Op. cit., p. 122-123. 18 Ibidem. 1 Op. cit., p. 124. ¢ 111°