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OLIVIER SCHEFER

et illimitées. La surabondance de ce terme en rendrait la signification douteuse
et peu rigoureuse. Mais il faut rappeler gue si le premier romantisme allemand,
dont Novalis est un des plus emblématigues et des plus singuliers représentants,
pense ce qui échappe a l’emprise de la rationalité, ce n’est pas en refusant celle¬
ci, comme on l’a trop souvent dit. Il y a bien une rationalité romantique, parfois
même un hyper-rationalisme présent à chaque page des textes théoriques parus
sous forme de fragments dans la revue des frères Schlegel, L’'Athenaeum
(1798-1800). Loin donc d’être une sorte d’anti-Aufklärung, le premier romantisme
aura approfondi la rationalité, en questionnant ses fondements profonds voire
obscurs et ce afin d'inclure dialectiquement dans la raison ce qui n’est pas elle,
d’en élargir le sens en somme’. Le rôle considérable dévolu à l'imagination hu¬
maine, par cette génération, est à cet égard emblématique de cette entreprise
romantique de redéfinition de la raison: une raison non géométrique et sèche,
mais vivante, proche de la nature et mystérieuse à elle-même. Comme le Kant
de la Critique de la raison pure, les romantiques d’Iéna estiment, en radicalisant
cette proposition en un authentique art, que le « schématisme de l’entendement
pur, en vue des phénomènes et de leur simple forme, est un art caché dans les
profondeurs de l’âme humaine, et dont nous aurons de la peine à arracher à la
nature les secrets du fonctionnement pour les mettre à découvert sous les yeux.»

Ainsi la rationalité romantique présidant à l'élaboration d’un concept tel que
celui d’infini réside avant tout dans son art poétique et dans sa pratique, son
faire (poïen). On pourrait ainsi dire, en première analyse, que l'infini novalissien
désigne la tendance au dépassement du fini, à la transgression du monde et de
la réalité historique. Le romantisme allemand, mais aussi anglais et français a
constamment repoussé la ligne d’horizon: que ce soit dans la géographie (en
révant à l'Orient par-delà l’Europe), ou de manière temporelle, en adoptant ou
en imaginant une perspective eschatologique souvent fictive et mythique. Novalis
annonce ainsi dans son essai Chrétienté et Europe la venue d’un Nouveau Messie
aux mille membres, un Âge d’or aux « yeux sombres et infinis », ajoute-t-il comme
pour mieux souligner la qualité mystique de cet âge futur.

Le romantisme, celui de Novalis en particulier, s’est efforcé de traduire ou
d'exprimer cet infini par le biais de l’art puisque l’œuvre offre une matière sensible
à l'idéal. Schelling dira que la beauté est la présentation finie de l'infini. Ainsi en

? Sur cette question de la rationalité romantique, v. le premier chapitre de l’anthologie critique du
romantisme allemand, La Forme poétique du monde. E.d.s., Charles Le Blanc, Laurent Margantin et
Olivier Schefer, Paris, José Corti, 2003, « De la raison critique à la raison absolue », p. 99-221.

3 Kant, Critique de la raison pure. Trad. Delamarre et Marty, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », t. I, 1980, p. 887.

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