OCR
LES « NUITS » DE GEORGES DE LA TOUR: MIROIR, VANITE ET CONTEMPLATION DE L'INFINI intitulé « Le je ne sçay quoi », Dominique Bouhours fasse également allusion a la « divine grâce » qui, selon lui, n’est « autre chose qu’un je ne sçay quoi surnaturel, qu'on ne peut ni expliquer, ni comprendre’. » La question qui se pose à cet endroit est celle de savoir comment les notions de grâce et de je-ne-sais-quoi peuvent se manifester dans la peinture de La Tour. Il nous semble qu’il serait possible d'associer à ces notions les figures rayonnantes du peintre, qui donnent l'impression d’une spiritualité, à l'opposé des personnages du Caravage qui paraissent des figures laïques à côté de celles de La Tour. Dans les tableaux de celui-ci, le rayonnement de la grâce apparaît sous plusieurs aspects: au niveau de la technique picturale, il se manifeste par l'usage de la lumière et du clair-obscur qui aboutit à une modulation tonale spécifique (certains personnages sont mis en valeur par l'éclairage, alors que d’autres sont laissés dans l'ombre). Au niveau métaphysique, la lumière fait allusion à la beauté cosmique, à une dimension spirituelle où le rayonnement peut être conçu, au sens chrétien, comme le signe du salut par la grâce!®. À la lumière de cette catégorie, il est possible d'interpréter l’œuvre nocturne de La Tour comme la mise en forme artistique de la grâce spirituelle (théologique), qui devient ainsi une grâce plastique et picturale (esthétique). Mais comment les toiles de La Tour parviennent-elles à suggérer le sentiment de la contemplation de l'infini ? Pour essayer d'expliquer cette impression, par la suite, nous nous pencherons sur l'analyse des tableaux de La Tour qui mettent en scène le motif de la Madeleine pénitente. Les Madeleine de La Tour Parmi les peintures de Georges de La Tour qui incitent le spectateur à la contemplation de l’infini, les plus touchantes sont peut-être les toiles qui traitent du motif de la Madeleine pénitente. Là aussi, on peut se poser la question de savoir pourquoi La Tour attachait un intérêt si particulier au motif de la Madeleine qu'il l'a exécuté en plusieurs versions ? La réponse à cette question est en partie d'ordre historique et concerne la culture lorraine du temps de La Tour où s’est développée une forte spiritualité affective : le rapport de la sensibilité catholique et de l’art explique l'abondance des sujets religieux traités par La Tour et ses 2 Dominique Bouhours, Le je ne sçay quoi. In Entretiens d'Ariste et d'Eugène. Paris, Mabre-Cramoisy, 1671, p. 255. 8 Spear, op. cit., p. 121. +81 +