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LA CONTEMPLATION DES ESPACES INFINIS SELON PASCAL

tant que manifestation de l’Un dans la nature, permettait à l’homme son éléva¬
tion vers l’Un.

Chez Pascal, l’infinité prive l'univers de son ordre visible. Il s'ensuit que la
contemplation ne peut pas s'élever du sensible à l’intelligible de manière immé¬
diate. La vision ne peut pas saisir l'unité de la nature, car l’infinité l'en empêche.
Son objet lui échappant, la vision doit être complétée par l'imagination. Néan¬
moins, l'imagination n’est toujours pas à même d'assurer le passage immédiat
du sensible à l’intelligible, c'est pourquoi elle vise d’abord à représenter la nature
réelle dans sa totalité. Ici, nous pouvons saisir la différence essentielle entre la
contemplation traditionnelle et la contemplation pascalienne. Selon la cosmo¬
logie antique et médiévale, le cosmos était identique au monde visible dans la
mesure ot le firmament était la limite du cosmos. Par conséquent, la représen¬
tation de la totalité du monde s’effectuait immediatement par la vision. Par contre,
dans l’univers post-copernicien, il y a un écart infini entre le monde visible et
l'univers réel. Lors de la contemplation de la nature, c’est à l’imagination de
franchir cet écart en essayant de former une représentation intelligible de la
totalité de la nature à partir de ses parties sensibles. Or, comme le fragment 199
le souligne, l'imagination est aussi impuissante à saisir l’objet à contempler que
la vision et subit un échec en essayant de le représenter. Elle se perd dans cette
pensée.

La mise en évidence de la différence entre la contemplation traditionnelle et
pascalienne nous fait mieux comprendre la phrase en question. Il va de soi que
Pascal parle de Dieu à la fin de la présentation du processus contemplatif, étant
donné que cet acte s'achève traditionnellement par la vision de Dieu. Ce faisant,
il reste fidèle à la tradition, mais souligne en même temps que le sens de la
contemplation a profondément changé après la révolution copernicienne. Pascal
redéfinit entièrement la contemplation. Chez lui, la contemplation de la nature
infinie n’aboutit pas a la vision de Dieu, nia l’unio mystica. La raison en est que
les facultés humaines sont incapables de représenter la nature et, par conséquent,
elles ne sont pas à même de saisir son unité par sa forme. La contemplation
pascalienne reste prisonnière de la représentation. Le processus de représentation
est infini: l'imagination est à la recherche de l’objet ultime de la contemplation
sans pouvoir le saisir. L'échec de la représentation implique donc que l’Un ne
peut pas être saisi dans le multiple et que l’homme ne peut pas s'élever par la
nature jusqu’à Dieu. La phrase étudiée vise à permettre de tirer cette conclusion.

Cette interprétation n'épuise cependant pas la signification de la phrase.
S’agirait-il seulement de constater que la contemplation de la nature infinie ne
permet ni de saisir l’existence de Dieu, ni de s’unir à lui? Dans ce cas-là, nous
serions obligés d'accepter l'analyse de Vincent Carraud et de dire avec lui que la

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