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TAMÁS PAVLOVITS

Vavait élaboré par des enrichissements successifs [...] Tout se passe donc comme
si le concept de contemplation, dont Pascal hérite de la tradition chrétienne,
gouvernait le § 199, alors que, derriére l’emploi rhétorique du mot, c’est de la
ruine du concept qu'il s’agira, et de la fin d’une tradition spirituelle particuliè¬
rement riche!7. » D’après Carraud, la contemplation pascalienne doit être consi¬
dérée comme une anti-contemplation car au lieu d’être la contemplation de Dieu,
elle se réduit à la contemplation de la nature, et au lieu d’aboutir à l'union avec
le divin et à la béatitude, elle se termine par l’effroi. Ma thèse est différente de
celle de Vincent Carraud dans la mesure où je ne vois pas une opposition aussi
forte entre la contemplation traditionnelle et la contemplation pascalienne.
Pascal ne détruit pas le concept de la contemplation, mais le transforme. Essayons
de comprendre comment.

Les étapes principales de la démarche contemplative pascalienne sont iden¬
tiques à celles de la contemplation traditionnelle. Nous avons vu dans le fragment
199 comment la contemplation part du sensible, s'élève à l’intelligible par l’ima¬
gination et par l'intellection et parvient enfin au caractère sensible de la toute-puis¬
sance de Dieu. Cependant, dans leur contenu, le processus traditionnel et le
processus pascalien diffèrent visiblement. Afin de comprendre en quoi consiste
cette différence, nous devons comparer leur objet. L'objet principal de la contem¬
plation pascalienne est, comme chez les Grecs et chez les médiévaux, la nature.
Toutefois, cet objet diffère fortement de l’objet de la contemplation antique et
médiévale, étant donné que la nature, selon Pascal, n’est pas ordonnée de la même
manière que le cosmos pré-copernicien. Il est possible d'analyser la différence
de deux manières : cosmologique et ontologique. Le cosmos ou la création visible
assuraient un passage immédiat du sensible à l’intelligible grâce à l’ordre qu'ils
incluaient. Alors que l’ordre cosmique était donné à voir par les éléments sensibles
(planètes, étoiles), son essence consistait en l’arrangement de leur mouvement
défini par des règles intelligibles. À travers ces règles ou lois cosmiques, l’ordre
sensible faisait référence à l'existence d’un principe ordonnateur, c’est-à-dire à
Dieu même dont la pensée s’exprimait par ces règles. L’arrière-plan cosmologique
rendait ainsi possible l'élévation de la pensée humaine au divin par la contem¬
plation des mouvements célestes. Outre l'explication cosmologique, il y avait une
raison ontologique qui fondait également l'élévation contemplative. L'ordre cos¬
mique, ayant été identique à la forme du monde, était en même temps un ordre
ontologique. Comme tel, il constituait l’unité dans le multiple et assurait la
présence de l’intelligible dans le sensible. La contemplation de l’ordre du cosmos
revenait ainsi à la contemplation de la forme et de l’unité du monde. L'ordre, en

17 Vincent Carraud, Pascal et la philosophie. Paris, PUF, coll. « Épiméthée », 1992, p. 404. et p. 406.

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