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CONTRASTE SUR LE RAPTUS

On remarquera facilement que l’interpretation du raptus proposee par ce
précheur anonyme est opposée a celle que nous avons lue chez Thomas d’Aquin.
D’apres le théologien dominicain, le raptus est une expérience de l’intellect, à
laquelle la volonté (qui est une faculté « affective ») participe de manière indirecte;
la vision de l'essence divine ne peut être accomplie que par l’intellect. Au contraire,
le prêcheur anonyme exclut radicalement l’intellect de l’expérience du raptus :
incapable de suivre l'affectus jusqu’à la contemplation de Dieu, l’intellect reste
aveugle et stupéfait, tandis que l'affectus se livre à la joie suprême que l’épiphanie
divine lui procure.

Il est possible que les raisons de cette opposition résident dans les différentes
finalités que les deux auteurs se proposent: Thomas d'Aquin écrit des traités
« scientifiques », alors que le précheur se propose d’instruire les fidèles, en
expliquant notamment le sens moral de l’Écriture. Cependant, une distance plus
profonde sépare ces textes : Thomas essaie de lire l'expérience de saint Paul dans
les catégories de l'anthropologie morale aristotélicienne : tant sa conception de
la violence que celle du rapport entre l’âme et le corps, et entre l’intellect et la
volonté, témoignent de cette tendance. Le prêcheur anonyme semble en revanche
privilégier une interprétation mystique et antirationaliste, selon laquelle la vision
de l'essence divine doit demeurer incompréhensible.

flambeaux »: notre cœur doit être tel un flambeau, clair et pur, et porter sa bouche sur Dieu; la bouche
du flambeau est le désir du cœur. La bouche symbolise le désir [...]. La bouche du flambeau est le
désir du cœur, ce qui est symbolisé par Philippe. L’eunuque, qui n’engendre pas, est l’intellect. En
effet, deux facultés forment l’âme : l’intellect et l’affectus (ou l'amour). L’intellect n’accomplit pas des
œuvres : s’il en était ainsi, les œuvres d’un meilleur clerc seraient meilleures. L'amour, en revanche,
fait des œuvres : plus grand est l'amour que l’on porte à Dieu, meilleures sont les œuvres. [...] Quand
l’âme se libère de toutes les eaux, c'est-à-dire des pensées superflues et de tout dorment, et elle se
dresse envers Dieu, elle se soulève alors de l’eau, et aussitôt l'Esprit de Dieu enlève Philippe, c'est-à¬
dire le désir, et l’'eunuque, c’est-à-dire l’intellect, ne voit plus davantage » («Et hoc proprie dicitur
raptus quando ita Deus ad se trahit animam sicut Philippus dicitur raptus viii Act. [39-40] ubi sic
legitur: Cum ascendissent de aqua Spiritus Domini rapuit Philippum et amplius non uidit eum
eunucus, ibat enim per uiam suam gaudens, Philippus autem inuentus est in Azoto [aroco ms.].
Philippus interpretatur ‘os lampadum’: cor nostrum debet esse sicut lampas clarum et mundum et
os semper habere ad Deum et os lampadis est desiderium cordis. Per os signatur desiderium [...]. Os
ergo lampadis desiderium cordis, hoc est Philippus. Eunucus qui non generat filios est intellectus.
Duo enim sunt in anima, intellectus uel affectus uel amor. Intellectus non facit opera, quia si sic esset,
qui est melior clericus meliora essent opera eius. Set amor facit opera: quantum iste amat Deum in
tantum sunt bona opera eius. [...] Cum igitur anima omnes aquas, id est cogitationes superfluas et
omnes tribulationes dimittit et omnes dolores et sursum ad Deum se erigit, tunc anima de aqua
ascendit et mox Spiritus Domini rapit Philippum, id est desiderium, et amplius non uidet eunuchus,
id est intellectus »).

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