défaut de la nature, comme c’est le cas des fous et des frénétiques (phrenetici,
mente capti), dont la pensée est dissociée de la réalité sensible puisqu'ils pensent
des choses qui n’ont aucune réalité, ils délirent ; deuxièmement, cette dissociation
peut être produite par Dieu, qui par le moyen d’une intervention extraordinaire
concède à l’intellect d'accéder à des réalités qu’il ne pourrait pas connaître par
ses seules forces et par le moyen de l'expérience sensible. Le raptus est une
expérience de ce deuxième genre”.
La fin ultime de l’homme est, dans la vie après la mort, la connaissance
intellectuelle de l'essence divine (ou vision béatifique), ce même type de
connaissance dont Paul a joui, brièvement, durant la vie mondaine. Par conséquent,
si l’homme subit une élévation a la connaissance intellectuelle de Dieu avant sa
mort, il n’est pas porté vers une fin étrangère à sa propre nature, au contraire, il
n’a obtenu que prématurément et de manière transitoire, ce que tout homme
obtiendra à son heure de manière définitive.
Il ne s’agit que d’une anticipation!®. Comment imaginer alors la violence du
raptus ? Thomas l'explique clairement par un exemple d'ordre physique. La pierre
tend naturellement vers le bas (deorsum) ; si on la jette vers le haut, on lui fait
accomplir un mouvement qui est contraire à sa nature et qui, en tant que tel, est
violent ; si l’on jette en revanche une pierre par terre en lui imposant plus de force
qu'elle n'aurait par son propre poids, si donc on la lance violemment, on lui fait
accomplir sa trajectoire naturelle, mais selon une modalité qui n’est pas celle de
la pierre, puisque l'élan qu'on lui impose est trop rapide. Cette comparaison
° Thomas de Aquino, Quaestiones disputatae de veritate, 13, 1, responsio (Edition Léonine t. 22,
p. 417, 148-160; tr. fr. Editions Sainte-Madeleine, Le Barroux, 2011): « Ainsi donc, il est transporté
hors du mode naturel de sa connaissance lorsque, abstrait des sens, il regarde des choses hors du
sens. Ce transport se fait donc parfois par un défaut de la puissance propre, comme cela se produit
chez les frénétiques et autres malades mentaux ; et cette abstraction des sens n’est pas une élévation
de l’homme, mais plutôt un abaissement. Parfois, en revanche, une telle abstraction se fait par la
puissance divine : et c’est alors proprement une certaine élévation, car, puisque l'agent rend le patient
semblable à soi, l’abstraction qui se fait par la puissance divine, qui est au-dessus de l’homme, est
dirigée vers quelque chose de plus haut qu'il n’est naturel à l’homme » («Tuncigitur a naturali modo
suae cognitionis transmutatur quando a sensibus abstractus aliqua praeter sensum inspicit. Haec
ergo transmutatio quandoque fit ex defectu propriae virtutis, sicut accidit in phreneticis et aliis mente
captis, et haec quidem abstractio a sensibus non est elevatio hominis sed magis depressio ; aliquando
vero talis abstractio fit virtute divina, et tunc proprie elevatio quaedam est quia, cum agens assimilet
sibi patiens, abstractio quae fit a virtute divina, quae est supra hominem, est in aliquid altius quam
sit homini naturale »).
10 Thomas de Aquino, Quaestiones disputatae de veritate, 13, 1, ad 1m (Edition Léonine t. 22, p. 417,
188-192, tr. fr. citée, modifiée par nous-mémes) : « Par conséquent, si elle est élevée dans la vie présente
pour qu’elle connaisse Dieu comme dans la patrie, ce sera contraire 4 la nature, comme il serait
contraire à la nature qu’un enfant nouveau-né eût une barbe » (« Et sic, si in statu viae elevetur ad
hoc quod cognoscat Deum secundum statum patriae, hoc erit contra naturam sicut esset contra
naturam quod puer mox natus haberet barbam »).