entre Stoïciens et Académiciens” l’a formulée, consiste simplement à se demander
si les données de la perception sont suffisamment fiables pour constituer les bases
de la connaissance. Les Stoïciens considèrent que les données des sens sont assez
vérifiables pour qu’on puisse en déduire un modèle rationnel du monde
parfaitement réaliste, ce qui repose sur un postulat d’homogénéité absolue du
réel, grâce auquel le logos, commun au divin et à l’homme, garantit, s’il est
correctement manié, un réalisme cognitif total. Le sensualisme stoïcien est donc,
paradoxalement, rationaliste, et non empiriste, puisque les empiristes,
essentiellement britanniques, s'opposeront, eux, au rationalisme, ce qui tient à
ce qu'ils refusent le postulat stoïcien d’homogénéité, qui repose effectivement
sur un pari métaphysique audacieux, ou, si on préfère, qui a un coût théorique
excessif. Si vif et acharné qu'il soit, ce débat, qui s'articule sur un pari métaphysique
et un enjeu épistémique, occulte une vraie question de fond: le problème
ontologique de la perception. À force de poser sur un mode binaire — vrai ou
faux — la question de son réalisme, question dont on a vu qu’elle était mal posée,
on a oublié de s'interroger sur sa nature. Et, en essayant de ranger la perception
d’un côté ou de l’autre, illusion ou accès direct, on n’a pas vu qu'elle est quelque
chose de métaphysiquement étrange : une interface entre la réalité physique et
le monde intérieur du sujet, l’instance qui, par le biais de l’image ou de la
représentation, traduit le réel extérieur selon un format exploitable mentalement
par le sujet. Ce format dépend évidemment des espèces, mais toute conclusion
idéaliste serait évidemment abusive : un chat ne perçoit pas une souris ou un
pigeon exactement comme nous, mais nous voyons bien la même souris et le
même pigeon au même endroit, et avec la même forme. Que les couleurs, les
odeurs ou d’autres signaux varient selon leur exploitabilité spécifique, peut induire
de nettes différences perceptives, sans cependant jamais remettre en cause
l'existence même de l’objet perçu (quoi qu’ait pu en penser Berkeley).
La perception code donc la réalité qu'elle saisit, comme information, c’est-à¬
dire image mentale ou connaissance. Elle formate le réel physique sur le mode
incorporel de la pure représentation, sous forme de tableau, de sensation, ou de
concept associé. On comprend pourquoi un dualisme strict, de type cartésien,
ne peut comprendre la perception, dont l’interfacialité permet de transférer, par
des modalités organiques (organe, nerf, zone cérébrale), du corporel en incorporel,
c'est-à-dire de franchir la barrière ontologique qui sépare le physique de la pensée.
Si donc on suppose qu’il y a bien une barrière ontologique, la perception devient