En 1715, Vintendant Lamoignon de Courson ne dit pas autre chose, de méme
gue son collégue La Bourdonnaye" gui signale les mémes cantons x fort renom¬
més » : les Graves, le Médoc, où l’on produit du vin rouge, et les environs de bord
de Garonne, notamment vers Langon et Bazas, qui donnent des vins blancs se
vendant fort cher. À ces terroirs très réputés, il ajoute les vins des environs de
Bourg et de Blaye, dont il signale la qualité. Or si l’on s'intéresse à la région de
Blaye, il s'agissait au milieu du XVII: siècle d’un vin plutôt déprécié, mais pré¬
sentant une amplitude forte, signe de transformation. Au début du XVIII siècle,
cette mutation semble s’être réalisée, Savignac signalant par exemple qu’en 1708,
les vins du Blayais s’échangeaient à 120 livres le tonneau!!.
Mais c’est surtout lorsqu'il donne la description des domaines que l’intendant
analyse avec plus de finesse le caractère exceptionnel de ces propriétés viticoles.
Haut-Brion par exemple,
« est un bien sans seigneurie et dont l’étendue n'est pas trois fois aussi grande
que la place royale de Paris. Cependant, il y a des années qu'on en retire plus
de 50 000 livres. C’est dans ce cru que vient le vin que les Anglais recherchent
avec tant d’empressement, auquel ils ont donné le nom de Pontac... »
« Il serait difficile de pouvoir estimer ce que peut porter de revenu la baronnie
de Margaux, qui n’a qu'une seule paroisse, d’une très petite étendue. Tout le
produit consiste en vin, qui passe pour un des meilleurs de ce pays. Il s’en est
vendu cette année pour près de 45 000 livres. »
Mais c'est assurément M. de Ségur qui mérite le titre de prince des vignes.
« Monsieur le président Ségur!? a une maison dont l'étendue n'est pas si
grande, à beaucoup près, que le parc de Sceaux. Il y a fait en 1714 pour près de
100 000 livres de vin, il y a plusieurs autres endroits semblables. Tous ces reve¬
nus dépendent du succès des vendanges et du goût que les étrangers prennent
pour de certains vins. Il n’y a pas longtemps, tous ces vins n'étaient point esti¬
més, et ils se donnaient à fort bon marché ».
Certes, La Bourdonnaye exagère lorsqu'il considère que ces vins n'étaient point
estimés puisque, dès le milieu du XVII siècle, Graves et Médoc occupaient déjà
les meilleures places. Cependant, son propos révèle surtout l’ampleur du change¬
ment opéré à la fin du XVII et au début du XVIII: siècle, qui se traduit notam¬
ment par l'expression de New French Clarets, apparu en Angleterre en 1703. En
outre, la façon même dont l’intendant décrit le vignoble signale la mutation, car
à la différence du classement de 1647, on ne se contente plus seulement de zones
plus ou moins précisément définies. Haut-Brion, Margaux, Lafite : la notion de
cru, clairement identifié, apparaît sous la plume de l’intendant, et il n’est pas le
10 Archives Nationales (désormais AN), KK 1317, mémoire de la généralité de Bordeaux, par La Bour¬
donnaye.
Cependant, Savignac souligne qu’il s'agissait d’une année exceptionnelle et qu'au même moment, le
tonneau de Haut-Brion atteignait 500 livres...
2 Ségur est en particulier propriétaire de Lafite et Latour.