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quelques années plus tard cette association du Sauternes avec les huitres en début
de repas’”. Pour d’autres, l’accord privilégié se fait entre vins doux et mets sucrés,
confirmation de l'attrait pour des sensations sucrées prononcées. Lors du repas
servi au gastronome Grimod de la Reynière en 1810 dans le cadre d’un « Jury dé¬
gustateur », les vins de Malaga et le muscat sont proposés seulement au dessert’.
Le Nouvel Almanach des Gourmands publié en 1825 donne les conseils suivants :
Sauternes et Saint-Peray sont des vins blancs d’entremets qui doivent être servis
avec légumes ou pâtisserie ; les vins de Malaga, de Jurançon, de Malvoisie et les
muscats avec les desserts ; les vins de Chypre, de Rota et de Tokay dans des petits
verres sont à servir ensuite. Malgré la diversité des usages, les vins doux semblent
être plus directement associés avec la fin du repas en lien avec les vertus digestives
qui leur sont attribuées. Il reste cependant délicat pour l'historien de savoir si ces
associations résultent de la diversité des goûts de ces vins (plus ou moins sucrés) ou
d’habitudes gustatives différentes des amateurs de l’époque.

Discours et consommations confirment la position un peu « en marge » de ces
vins doux, liquoreux et autres dans l’univers du vin et dans la culture alimentaire
à l’époque moderne comme aujourd’hui”. S’ils sont parfois renommés (Sauternes,
Tokay), ils restent toujours consommés en petites quantités, à des moments par¬
ticuliers du repas et leur usage déroute un peu parfois des consommateurs qui
ne savent guère avec quels plats les associer. Parfois même, comme les vins doux
naturels (Rivesaltes, Maury), ils sont de nos jours confrontés à un certain désa¬
mour et leur consommation est nettement en recul®?. Leur succès s'inscrit dans
une valorisation des saveurs sucrées due au boom sucrier des XVII et XVIIT*
siècles. Les vins muscats de Chypre ou de Frontignan sont des vins de liqueur qui
prennent couramment place dans les caves et sur les tables des élites des Lumières
comme aux siècles précédents car leur douceur est associée à un raffinement et à
un luxe qui sert à distinguer les consommations des élites. Mais la palette des vins
doux, comme celle des vins rouges, s’est considérablement élargie à partir de la
fin du XVII siècle. Aux côtés de ces vins très sucrés prennent place des vins doux
moelleux, plus légers, servis au cours du repas, dont certains, comme le Sauternes
connaissent un grand succès sur les meilleures tables à partir des années 1770¬
1780. Ils sont eux aussi des vins distingués dont la réputation ne cesse alors de
croître car ils correspondent aux attentes nouvelles d'amateurs qui se veulent des

maison, Paris, 1800, p. XVIII.

77 Anthelme Brillat-Savarin, Physiologie du goût, Paris, Flammarion, 1982 (1** édition en 1826), p. 176.

7 Bibliothèque municipale de Dijon, M IV 333, menu du jury dégustateur, 13 mars 1810.

? Grégoire Berche, Le vin liquoreux, un produit de terroir en marge dans la hiérarchie vitivinicole français :
étude comparée des petits vignobles de vin liquoreux de Bergerac, Jurançon, Jura et Corrèze. Géographie d'une
distinction, thèse Paris-Ouest-Nanterre, 2016.

%0 Jean-Louis Escudier, « Les vins doux naturels, de l'engouement au désamour (XIX:-XXI: siècles), dans
Corinne Marache, Philippe Meyzie et Maud Villeret (dir.) Des produits entre déclin et renaissance (XVT¬
XXT siècles), Bruxelles, Peter Lang, 2018, p. 201-217.

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