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mets au cours du repas?. A l’époque moderne, lors des repas d’apparat, le déroulé du service, nous y reviendrons, ne permet guère de lier un vin à un plat, ce qui donne toute sa spécificité à cette période allant du XVI au début du XIX" siécle dans l’analyse de la consommation de vin à la table des élites européennes. Les vins sucrés notamment y sont très appréciés et sont généralement affublés dans les sources du qualificatif de « doux ». Le terme de « doux » est alors d’un emploi courant pour désigner les vins de Frontignan, d’Alicante ou de Tokay et son utilisation pour parler du vin s'avère beaucoup plus répandue qu’aujourd’hui. Il est particulièrement employé pour les vins liquoreux que le Dictionnaire universel portatif définit comme « des vins doux, sucrés, chauds, spiritueux et d’une saveur agréable » ; cette dénomination sert à distinguer ces vins « qui ont de la douceur » (Malvoisie, Tokay, Frontignan) de « nos vins secs, brusques & piquants »°. Cette caractéristique concerne cependant des vins très différents sur le plan technique (vins blancs, vins rouges, vins doux naturels, vins liquoreux, vin mutés, utilisation de paillage, vendanges tardives, etc.), mais qui ont pour point commun d’être considérés à l’époque comme des vins auxquels on associe la douceur et les saveurs sucrées. Or, cette recherche de la douceur, en particulier au XVIII siècle, s'inscrit dans un univers de consommation marquée par la valorisation de l’exotisme et des saveurs sucrées en tout genre. Un goût du sucré que l’on retrouve dans des produits plus nombreux (boissons chaudes, pâtisseries, confiseries) et qui commence à s'étendre en Europe de l'Ouest dans une plus large partie de la population*. Cet arrière-plan est à prendre en considération pour comprendre le succès persistant des vins sucrés auprès des élites européennes du siècle du Lumières et leur rôle au sein des repas. Le goût pour ce type de vin répond bien à un mouvement plus général de valorisation culinaire de la douceur, entamé depuis le milieu du XVII siècle que nous voudrions mettre en lumière à travers cette contribution. ? Jean-Robert Pitte (dir.), Les accords mets-vins. Un art français, Paris, CNRS, 2017. 3 Dictionnaire domestique portatif contenant toutes les connaissances relatives à l'oeconomie domestique & rurale ; où l'on détaille les différentes branches de l'Agriculture... etc., tome second, Paris, 1765, p. 556. * Sur la diffusion du sucre et des boissons exotiques qui l’accompagnent, voir notamment Carole Shammas, The Prelndustrial Consumer in England and America. Oxford University Press, Oxford ; 1990 ; Jean-Pierre. Poussou, « Le développement du goût pour les produits exotiques et la croissance de leur consommation en Europe de l'Ouest et du Nord-Ouest aux XVII: et XVIII: siècles », dans Michel Figeac et Christophe Bouneau (dir.), Circulation, métissage et culture matérielle (XVE-XX: siècles), Paris, Garnier, 2017, p. 19-59 ; M. Villeret, Le goût de l'or blanc. Le sucre en France au XVIII siècle, Presses Universitaires Francois Rabelais/Presses Universitaires de Rennes, Tours/Rennes, 2017. S'il est difficile d’établir un seuil à partir duquel on puisse parler de consommation courante, il est tout de même établi que le sucre est une denrée qui pénètre sous des qualités diverses dans une plus large partie de la population au cours du XVIII: siècle dans des pays comme la Hollande, la France ou l'Angleterre. 85